Des pays comme les pays nordiques et le Canada notamment ont enclenché ces réformes dans les années 1990 de façon très réussie. L’Allemagne dans la première moitié des années 2000, avec succès également. L’Espagne et le Portugal les mènent activement, mais en pleine crise, et le coût social, au moins à court terme, en est de ce fait élevé. En France, quelle que soit la couleur du gouvernement, ces réformes structurelles sont très difficiles à mettre en place. Pourtant il existe une assez forte convergence d’idées. Quelques-unes méritent d’être rappelées :
1 – Le coût du travail est crucial pour la compétitivité d’une économie, mais uniquement rapporté à la productivité du travail. En Allemagne, le coût du travail n’est en moyenne que légèrement inférieur à celui de la France, mais ce pays bénéficie d’une économie compétitive et d’une balance courante largement excédentaire, d’une croissance assez élevée et d’un chômage faible. En France, avec un coût de travail seulement légèrement plus élevé, on a l’inverse. Cela est dû à un coût du travail corrigé des gains de productivité qui a fortement augmenté en France dans les années 2000 par rapport à l’Allemagne et à une gamme et une qualité moyennes de la production française, alors qu’outre-Rhin la spécialisation s’est plutôt faite sur le haut de gamme. Il convient donc d’avoir en France un coût du travail corrigé de la productivité en adéquation avec sa gamme de production.
L’accroissement de la productivité du travail, facteur de croissance économique, est donc nécessaire pour augmenter les revenus sans perte de compétitivité. Tout comme la recherche d’une production haut-de-gamme, les gains de productivité demandent de la recherche-développement et de l’investissement. Pour cela, encore faut-il bénéficier d’un taux de profit suffisant dans les entreprises. Or, depuis dix ans, la France est l’un des très rares pays de l’OCDE à avoir vu baisser le taux de profit de ses entreprises. Comment alors financer l’investissement, la modernisation, l’innovation et la montée en gamme ? Pour inciter à l’innovation, il faut également accroître la concurrence dans certains secteurs encore trop protégés.
En revanche, pour les personnes à faible qualification dans des secteurs structurellement moins haut de gamme, rechercher un coût du travail plus bas est indispensable à leur emploi. Les études empiriques le démontrent clairement. Cet abaissement peut se faire soit par les charges sociales, soit par le salaire lui-même, en complétant alors le revenu par des prestations sociales adaptées pour assurer un niveau de vie décent.
2 – L’augmentation de la population au travail – qui, comme les gains de productivité, est un déterminant de la croissance économique potentielle – doit conduire notamment à une réforme du marché du travail, en limitant les rigidités telles que les effets de seuil, la complexité des lois sociales… Il faut également accélérer l’incitation à retrouver un emploi. Or, il existe une corrélation empirique solide entre le taux de chômage et la longueur, le niveau et surtout la dégressivité de la protection du chômage. Cette réforme ne peut qu’aller de pair avec une meilleure formation et un accompagnement amélioré du retour à l’emploi. Il s’agit ici de développer la « flexi-sécurité ». Parallèlement, il est indispensable de mener une réforme des retraites par augmentation du nombre d’années de cotisation, afin d’accroître la population en âge de travailler. Ce sera d’ailleurs la seule façon, comme l’ont déjà fait tant d’autres pays européens, de stimuler la croissance tout en résolvant l’impasse du financement du régime des retraites. Tout abaissement du niveau des retraites, comme tout prélèvement additionnel sur les actifs, a un effet dépressif sur l’économie.
3 – L’augmentation du potentiel de croissance et de la compétitivité passe aussi par la recherche d’un service public plus efficient, c’est-à-dire du meilleur rapport entre l’utilité et la qualité du service public et le niveau des dépenses publiques. Or, en France, nous sommes sur le podium européen des dépenses publiques comme des prélèvements obligatoires sur PIB, mais pour un service public rendu (sécurité sociale, collectivités locales, Etat) qui se situe dans la moyenne européenne. Autrement dit, l’efficacité n’est pas au rendez-vous, pendant que la dette publique s’accumule dangereusement. Les réformes s’imposent donc.
Ma part d’optimisme : il semble que, de plus en plus, les Français comprennent, forts des exemples étrangers, que le niveau de la protection sociale et des services publics a été artificiellement maintenu depuis longtemps par un endettement public croissant, aujourd’hui insoutenable. Les efforts à réaliser sont donc mieux appréhendés, ainsi que la nécessité de rechercher un meilleur équilibre des droits et des devoirs de chacun afin de protéger l’essentiel, c’est-à-dire une société équitable à haut niveau de vie et à forte protection sociale, qui favorise tout à la fois le vivre ensemble et l’envie d’entreprendre.
Les réformes pouvant être à court terme coûteuses socialement et ne produire leurs effets favorables qu’à deux ou trois ans, leur conduite doit être couplée avec des mesures dont les effets peuvent être visibles à court terme en termes de soutien de l’économie et de l’emploi. La baisse significative des charges sociales sur les bas salaires couplée à une hausse de la TVA peut avoir cet effet. Reste donc aux gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, à expliquer le sens et la nécessité des réformes, à en trouver la bonne programmation et le bon accompagnement, et à en assurer la justice dans leur application.
«En complément de l’article, 13 graphes»
Les réformes structurelles sont difficiles mais indispensables