« Nous apprenons trop, nous ne pensons pas assez », écrivait Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra. Olivier Klein, le directeur général de la BRED, a fait sienne cette citation. Alors il pense. Aux mutations actuelles, à la globalisation, à la révolution technologique, mais il refuse de tomber dans le discours ambiant de la disruption. Il défend des missions pour la banque et s’interroge sur la meilleure façon pour la profession d’opérer sa mutation. Son parti pris est clair : le capitalisme évoluera vers une approche partenariale plus qu’actionnariale.
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À intervalles réguliers, depuis quarante ans, on la dit condamnée. Elle ? La banque. La banque traditionnelle. La banque du coin de la rue. Rendue obsolète par l’avènement de l’ère informatique, corsetée par la régulation, noyautée de l’intérieur par sa consœur la banque d’affaires, pulvérisée par la digitalisation des usages, la séduction des pure players et des fintechs. Exit la banque ? (…)
Entre-temps est déjà apparu ce qui va devenir l’antienne de la mort annoncée des banques. À l’origine de ce mouvement en France, peut-être un peu malgré eux, un duo d’énarques brillants dotés d’une plume alerte et séduisante : Simon Nora et le tout jeune Alain Minc. En 1976, le président Valéry Giscard d’Estaing leur a passé commande d’un rapport consacré à l’informatisation de la société, ainsi qu’aux voies et moyens pour l’accélérer et en faire un facteur de progrès. (…) Les auteurs expliquent combien l’informatique va bouleverser l’économie tertiaire, nombre de tâches pouvant être confiées au traitement informatique des données. Au premier rang des secteurs mis sur la sellette : la banque. Et, pour le faire comprendre, une comparaison pleine d’effroi et de fureur : “La banque, écrivent Nora et Minc, est la sidérurgie de demain.” (…)
Retour vers notre métier
La messe est-elle dite ? L’industrie bancaire classique connaîtrait-elle bel et bien son chant du cygne ? Parions plutôt sur le phénix. En rappelant que c’est souvent faute de bien comprendre l’essence même de la banque que l’on en vient à l’enterrer un peu vite. La banque n’est pas seulement un fournisseur de services financiers. Elle est, peut-être beaucoup plus fondamentalement, un tiers de confiance. Pour peu qu’elle soit régulée, et sa régulation a été à juste titre considérablement renforcée depuis la crise de 2008 avec notamment les accords dits de Bâle 3. (…) Les Gafam, tout au contraire, se rémunèrent sur la colossale somme de données qu’ils collectent. (…) Gageons que les clients sauront voir de plus en plus clairement ce qu’ils perdent en ayant recours à de telles pratiques. Nul doute également que les banques sauront expliquer ce qui fait la valeur spécifique de leur métier. (…)
Mais l’utilité irréductible de la banque commerciale ne s’arrête pas là. Elle tient également au fait d’être une centrale de risques – de crédit, de taux d’intérêt et de liquidité – capable de gérer ces risques professionnellement et de façon supervisée. C’est là ce qui fait l’essence même de son utilité économique et sociale. Les marchés financiers fonctionnent en effet par construction pour un nombre restreint d’acteurs économiques, tant parce que les émetteurs doivent avoir une taille suffisamment grande pour pouvoir y être référencés et emprunter, que parce que les épargnants, très majoritairement, n’ont pas les compétences nécessaires ou le temps suffisant pour faire des choix appropriés de placement sur les marchés. (…)
Le consommateur a beaucoup changé
Ces évolutions sont intéressantes en ce qu’elles dépassent les effets de mode, les “effets d’époque”. Elles signalent des usages et des habitudes amenés à perdurer en raison de leur praticité, de leur efficacité. Ces changements sont très probablement irréversibles (…).
Cela engendre de puissants phénomènes économiques et sociaux qui, eux-mêmes, définissent les contours de nouvelles régulations sociales : peu à peu, les économistes finissent, pour conserver l’exemple de la téléphonie mobile, par intégrer les frais qui y sont liés dans le registre des “dépenses contraintes”, au même titre que le logement ou l’alimentation, pourtant essentiels à la stricte survie physiologique. Cet effet cliquet se repère dans maints domaines : la praticité de la livraison à domicile, la commodité du paiement sans contact, l’usage massif de la digitalisation pour économiser les déplacements quotidiens et désengorger les flux de circulation, la consommation des produits culturels depuis chez soi sont autant d’habitudes articulant l’hédoniste et le pratique, le sanitaire et l’écologique, qui demeureront dès lors que la pandémie aura pris fin. Il s’agit donc moins d’une soudaine rupture que d’un processus non linéaire, comme une accumulation de multiples évolutions finissant par transformer un changement de degré en un changement de nature. Nous y sommes. (…)
Le choix économique des dirigeants de banque
Dans le secteur bancaire, comme dans d’autres, la mondialisation et la révolution technologique ont conduit et conduisent encore, dans les économies développées, les entreprises comme les nations à choisir entre deux voies possibles : l’ajustement par les coûts pour tenter de rester compétitifs ou la recherche de plus en plus de valeur ajoutée, par la forte intensification de l’investissement tant dans l’humain – la formation – que dans la technologie – le digital. La compétitivité par la montée en gamme, l’innovation et la qualité sont ainsi poursuivies. Les banques, comme d’autres entreprises, pourront alors justifier le maintien de leur utilité économique et sociale par une adaptation humaine, intelligente et efficace aux évolutions du monde, tout en comprenant et préservant l’essence même de leur métier et de ce qui en fait leur caractère irréductiblement nécessaire. (…)
L’avenir du rôle du distributeur
Résumons : la révolution technologique a renforcé le pouvoir du client devenu consom’acteur. Mais – c’est ma thèse et mon action –, au lieu de désintermédier cette relation de confiance client-distributeur au profit de plateformes comparatives ou d’une relation directe entre le client final et le producteur, le digital permet tout autant, si l’on s’y prend bien, de renforcer considérablement le rôle du distributeur. Un distributeur qui, loin de n’assurer comme par le passé que la mise à disposition de la qualité désirée de produit au moment voulu, doit aujourd’hui concentrer le maximum de données concernant chaque client afin de le connaître au mieux et de l’aider à répondre à ses besoins avec plus d’intelligence et de soin que jamais. (…)
Petite leçon manageuriale
Arrêtons-nous un instant sur ces mouvements liés aux grandes mutations. Il faut se garder des grands coups de volant organisationnels et de l’abus du mot “rupture”, et encore davantage de celui de “disruption”, néologisme appliqué bientôt à toutes les situations mal maîtrisées.