Conférences introductives à la 4e édition des Nocturnes de l’économie, tenue le 20 mars 2018, à l’Université de Créteil, par Agnès Bénassy Quéré et Olivier Klein.
Ci-dessous la retranscription de celle d’Olivier Klein.
Les réformes structurelles sont souvent mal comprises parce que peut-être mal définies ou parce que c’est un concept trop flou. En réalité, elles ont pour objet d’augmenter le potentiel de croissance d’une économie. Elles n’imposent pas d’abaisser les niveaux de salaire et de protection sociale par des politiques d’austérité. Et souvent, il y a des confusions entre ces démarches.
Pourquoi est-il indispensable d’augmenter le potentiel de croissance de la France par exemple ? D’abord, bien entendu, pour abaisser le taux de chômage structurel. À environ 8,5 %, le niveau de chômage structurel français est terriblement élevé. Et lorsque l’économie va nettement mieux, comme en ce moment, on a du mal à baisser en dessous de 9 %. Alors que l’Allemagne, par exemple, est à moins de 4 % de taux de chômage.
Prenons de plus le taux de chômage des jeunes, il est structurellement en France d’environ 25% pour les 15-24 ans, alors qu’il est de 7 % en Allemagne. Il y a donc quelque chose qui ne va pas et qu’il faut considérer.
Je ne ferai des comparaisons pendant mon court exposé qu’avec des pays de la zone euro pour prendre des structures sociales comparables et non des pays qui ont des structures sociales très différentes des nôtres.
La deuxième raison d’augmenter le potentiel de croissance d’une économie est évidemment d’assurer un meilleur profil de solvabilité de l’État et des services publics. Et par là même, bien sûr, d’accroître la soutenabilité de la protection sociale et des retraites.
En outre, les économies développées ont à faire face à deux révolutions : la révolution de la mondialisation – qui date maintenant de plus de vingt ans, mais qui s’est accrue largement à partir de 2000 – et la révolution technologique de la digitalisation et de la robotisation. Au total, dans les économies développées, dans le futur, il y aura évidemment de moins en moins de travail répétitif, de moins en moins de travail à faible valeur ajoutée, de moins en moins de travail qui correspond à des faibles formations. Et si ce travail-là disparaît, deux possibilités de réaction s’offrent dans les pays développés. La première est d’essayer de baisser le coût du travail, les salaires, les protections sociales, donc faire des politiques d’austérité pour retrouver de la compétitivité. La seconde est d’essayer d’améliorer le rapport qualité/prix en allant chercher évidemment ce qui fait tout l’intérêt de l’économie de la connaissance, ce qui fait la valeur ajoutée de la production de biens et services, les innovations. C’est ce que j’appelle sortir par le haut.
Et pour sortir par le haut, pour améliorer le rapport qualité/prix, c’est-à-dire pour aller chercher la valeur ajoutée et se distinguer par l’innovation des pays qui font cette mondialisation, comme les pays asiatiques par exemple, il n’y a qu’une seule possibilité : faire des réformes structurelles pour améliorer le rapport qualité-prix par l’innovation et la recherche de la meilleure valeur ajoutée de la production, soit pour obtenir le bon positionnement en gamme des produits et services fabriqués.
C’est donc la troisième raison d’en mener, totalement liée aux deux premières raisons, bien entendu.
Un exemple très simple, lié à la crise de la zone euro. Au moment de cette crise, les pays du Sud ont connu ce qu’on appelle en économie un « Sudden Stop », c’est-à-dire une crise de non-financement brutale du déficit de leur balance courante. Les pays, pris par l’urgence du rééquilibrage de leurs exportations et de leurs importations, ont été dans l’obligation de freiner brutalement leurs dépenses, leur consommation comme leurs investissements, pour desserrer l’étau de la contrainte extérieure, au prix d’un abaissement de leur niveau de vie par des politiques d’austérité.
On a mieux compris alors qu’il y avait trois types de situations possibles dans la zone euro : celle des Allemands qui avaient construit progressivement, par des réformes structurelles réussies, une économie qui s’industrialisait et qui était fondée sur de la haute valeur ajoutée.
On avait l’Espagne qui, face à la catastrophe dans laquelle elle était au moment de la crise de la zone euro, de par une valeur ajoutée de son industrie plutôt faible et un endettement privé trop élevé, a eu comme seule solution de baisser fortement les salaires et la protection sociale, de façon à pouvoir retrouver davantage de compétitivité et de faire baisser rapidement ses importations et remonter progressivement ses exportations. Au prix d’un abaissement très significatif du niveau de vie. Ce qui d’ailleurs ne lui a pas mal réussi puisqu’aujourd’hui, d’un point de vue économique, elle s’en sort plutôt bien. Mais avec des conséquences dramatiques en termes de populisme et des conséquences innombrables en termes de chômage, de douleurs sociales, etc.
Et puis la France, qui est un peu au milieu des deux, qui a en réalité le coût du travail à peu près de l’Allemagne et qui a, en gros, une spécialisation industrielle qui n’est en moyenne guère plus qualitative que celle de l’Espagne. Et du coup, qui, jusqu’au changement de gouvernement et au lancement des réformes, était en train d’être enfermée dans les difficultés sans fin, avec une balance courante qui ne cesse d’être déficitaire, alors que quasiment tous les autres pays de la zone euro se sont rééquilibrés ou sont très excédentaires, et un déficit budgétaire permanent. Avec, en corollaire, un taux de chômage extrêmement élevé, un taux d’emploi parmi les plus faibles, etc.
Les réformes structurelles dans un pays d’économie développée permettent d’éviter ces politiques d’austérité si on les réalise assez tôt. Si l’on n’attend pas d’être pris à la gorge au dernier moment, et contraint du coup d’adopter les politiques d’austérité pour retrouver de la compétitivité, mais par le bas et non par le haut.
Comme on le sait, le taux de croissance potentielle est, en résumé, l’addition du taux de croissance de la population disponible à l’emploi et des gains de productivité. Ce sont les deux forces essentielles qui conduisent à faire évoluer le taux de croissance potentielle vers le haut ou vers le bas. Augmenter les forces vives d’un côté et, de l’autre, les gains de productivité, accroît l’efficacité de l’économie et son potentiel de croissance.
Plusieurs réformes structurelles sont donc à mettre en place pour augmenter l’efficacité de l’économie
1) Améliorer le niveau de formation
Parce que dans une économie de la connaissance, il n’y a pas d’autres solutions pour les pays développés que d’essayer d’augmenter le niveau de formation. Et on sait à ce sujet que la France, à part pour ses élites, est en réalité en déclin. Elle se place mal dans tous les critères de comparaison de l’OCDE. Elle se place même de plus en plus mal. Ce qui est dangereux évidemment, parce qu’il y a une corrélation assez bonne entre le taux d’emploi dans les pays développés et le niveau de connaissances des jeunes qui ont 15 ans, qui est mesuré par des tests dans tous les pays de l’OCDE de la même manière. C’est le test PISA. Ou bien encore, le test PIAAC de l’OCDE également, qui mesure les compétences en termes de calcul utiles au travail et de capacité d’expression des personnes au travail. Et là aussi, la France se place assez mal et perd des places progressivement. Donc, son niveau de formation en réalité est en baisse et est trop bas par rapport aux pays les plus performants.
Il est donc essentiel de remonter ce niveau. De plus, la formation professionnelle en France, comme on le sait, n’est pas efficace. Elle ne s’adresse pas en priorité aux personnes qui en ont besoin et coûte très cher pour un rendu extrêmement faible. Ces deux points sont des priorités de l’actuel gouvernement.
J’ajoute, pour l’enseignement, qu’en France, ce n’est pas une question de moyens. Il y a peut-être une mauvaise répartition des moyens, mais ce n’est pas une question de moyens dans son ensemble. L’enseignement public en France représente 5,5 % du PIB alors que dans la zone euro, hors France, il représente 4,5 %. Or, il y a beaucoup de pays européens qui sont bien meilleurs que nous dans les classements de l’OCDE.
2) Le marché du travail
Le cloisonnement entre ceux qui ont du travail et ceux qui n’en ont pas est totalement inéquitable. Évidemment, le taux de chômage des jeunes est insupportable. Il faut faciliter la possibilité d’avoir du travail pour les nouveaux entrants. Il faut faciliter les passages de secteurs qui sont en déclin aux secteurs qui sont en croissance. Et tout le monde doit pouvoir dans sa vie être formé pour pouvoir changer de secteur économique quand il le faut. Il faut pour cela sortir du paradoxe incroyable de ce qui est le propre d’un chômage structurel : 9 % de chômage incompressible et un peu moins de la moitié des entreprises qui cherchent à embaucher aujourd’hui qui connaissent des difficultés pour embaucher, avec le retour de la croissance.
Voilà typiquement l’objet d’une réforme structurelle : Comment faire en sorte d’abaisser le taux de chômage structurel et de rendre le marché du travail plus efficace ? Une des réflexions possibles est la flexisécurité, comme ça a été fait dans les pays nordiques, pour redonner de la flexibilité en donnant une bonne sécurité à ceux qui recherchent activement un travail, tout en incitant au mieux à travailler. Et, à nouveau, en réformant la formation professionnelle pour la rendre efficace.
3) L’efficacité des administrations publiques
Il faut savoir que la France est sur le podium européen des dépenses publiques sur PIB comme des prélèvements publics sur PIB. Et que ses dépenses publiques comme ses prélèvements obligatoires sur PIB sont supérieurs d’environ 20 % à ceux de la zone euro hors France.
On pourrait relativiser ce fort décalage en constatant que l’administration publique produit efficacement et avec une grande qualité ses services ; mais les comparaisons de l’OCDE sur l’ensemble des services publics montrent que nous ne sommes, en termes de qualité des services publics, que dans la moyenne des pays comparés, alors que nous sommes je le rappelle, sur le podium des dépenses publiques en pourcentage du PIB. C’est donc un très fort manque d’efficacité.
Certaines études montrent par exemple que l’on pourrait économiser 6 à 10 milliards d’euros annuels sur la sécurité sociale en France, tout simplement en travaillant mieux et plus efficacement, sans l’empilement des structures qui peuvent exister ici et là.
Il faut savoir encore que la France a quasi 40 % de plus de prélèvements obligatoires sur les entreprises que les pays de la zone euro hors France. Évidemment, cela se ressent sur l’emploi. Même chose pour les cotisations sociales qui font partie des prélèvements obligatoires : les cotisations sociales payées par les entreprises sont d’environ 65 % plus élevées en France que celles des pays de la zone euro hors France. Et le taux de cotisations sociales payé par les entreprises est en corrélation très forte avec le taux d’emploi. Donc, plus on a de cotisations sociales payées par les entreprises, moins le taux d’emploi est élevé. C’est une corrélation très robuste sur l’ensemble des pays de l’OCDE.
4) Les retraites
Les dépenses publiques de retraite en pourcentage de PIB sont d’environ 40 % plus élevées que celles de la zone euro hors France. Est-ce que les retraités ont une meilleure retraite ? À peine. Mais la différence se fait tout à fait sur autre chose. Le taux d’emploi des 60-64 ans en France est de 28 %, il est en Allemagne de 56,5 %, il est en Suède de 68 %. La démographie ne permet pas de supporter un taux si bas en France. Et, à l’évidence, on aura des difficultés d’équilibre de retraite tant que l’on ne résoudra pas ce problème. Et même si l’on a fait des progrès, il reste beaucoup de progrès à faire pour suivre l’évolution démographique et faire comme certains pays nordiques, par exemple : fixer l’âge de la retraite sur l’évolution de l’espérance de vie. L’espérance de vie après la retraite a considérablement monté entre les années soixante et aujourd’hui. Il y a évidemment un problème majeur spécifiquement français puisque l’on a réduit l’âge de la retraite et non pas reculé comme on aurait dû le faire et ainsi que l’on fait les autres pays. La réforme s’impose ici à nouveau.
5) L’innovation, la R&D et le rapport qualité / prix
Nous avons du retard en France dans la R&D privée, nous avons du retard dans la part des technologies de l’information et de la communication dans le PIB, et dans l’évolution de cette part, comme dans le nombre de brevets triadiques.
Que manque-t-il ? Le fait que nos entreprises en France, entre 2000 et 2014 environ, ont eu un taux de profit (sur PIB) qui a été légèrement déclinant, alors que tous les autres pays de la zone euro ont été à peu près en hausse, sauf l’Italie probablement. Et le profit sur PIB des entreprises en France est plus bas structurellement que celui des autres pays de la zone euro. Ce qui fait que si on ne laisse pas suffisamment d’argent aux entreprises pour pouvoir investir dans la recherche et développement et l’innovation, elles se contentent de ce qu’elles sont. Et si elles n’évoluent pas en termes de qualité de leur production et d’innovation dans le monde tel qu’il est, avec ses deux révolutions, la mondialisation et la digitalisation, elles sont évidemment moins capables d’être compétitives en rapport qualité/prix et moins capables d’employer.
Dernier point sur le rapport qualité/prix. La France a un prix de travail qui est sensiblement le même que celui de l’Allemagne, mais avec une qualité, une spécialisation des industries, une valeur ajoutée trop faibles. En moyenne naturellement. Il y a des entreprises qui sont à très forte valeur ajoutée. Ceci conduit la France à avoir un déficit de balance courante, alors que tous les autres pays de la zone euro sont en train de s’équilibrer ou sont excédentaires.
Il y a des raisons dues au mode de fonctionnement intrinsèque de la zone euro, certes, mais il n’y a pas que cela. Nous devons chercher chez nous les raisons majeures de notre taux de chômage à 9 %. Le déficit public qui n’a pas cessé d’exister depuis 1974 sans discontinuer. Et une dette publique qui n’a pas cessé de monter, pour atteindre 100 % du PIB aujourd’hui. La production industrielle en base 100 en 2002 en France est à 90 en 2017, alors que l’Allemagne est passée de 100 à 122. C’est-à-dire que la France a perdu 10 % de sa production industrielle, alors que l’Allemagne en gagnait 22%.
Voilà les effets de réformes structurelles très insuffisantes depuis bien longtemps. À court terme, c’est insoutenable. Soit il faut choisir de faire comme l’Allemagne, soit il faut choisir de faire comme l’Espagne. Je vous laisse comprendre ce qui me semble préférable !