Dans le cadre de l’initiative des Pouvoirs publics, « Quelle est votre Europe ? », la section française de la Ligue Européenne de Coopération Économique, dont je suis le Président, a organisé une Consultation Citoyenne pour l’Europe les 18 septembre et 16 octobre derniers, avec la contribution de Patrick Artus, Agnès Bénassy-Quéré et Xavier Timbeau.
Retrouvez ici la synthèse finale exposant les recommandations concrètes ressorties de ces deux débats, synthèse intégrée dans le document final de l’organisation des Consultations qui sera restitué au Conseil européen de décembre 2018.
Introduction
La Ligue européenne de Coopération économique-Section française (LECE-F) a organisé une Consultation Citoyenne pour l’Europe, labellisée par le ministère chargé des Affaires européennes, et ayant pour thème : » Quelles améliorations souhaitables et réalistes pour la zone euro, sur le plan économique et social ? « .
Cette Consultation s’est déroulée en deux étapes.
- Le 18 septembre s’est tenue une première réunion ayant pour but de recueillir les attentes, les questions et les propositions des participants et d’en débattre, notamment avec trois économistes de renom : Agnès BENASSY-QUERE, Patrick ARTUS et Xavier TIMBEAU, ainsi qu’avec le Président exécutif de LECE-F, Olivier KLEIN. Ce débat était animé par Emmanuel CUGNY, éditorialiste à France Info. Environ 90 personnes y ont participé.
- Le 16 octobre s’est tenue une deuxième réunion, en vue de formuler une synthèse des conclusions et recommandations de cette Consultation.
Ces deux réunions ont été accueillies dans l’auditorium de la BRED, 18 quai de la Rapée, 75012 Paris.
Synthèse : constats, propositions
1. CONSTATS
La monnaie unique
Dans le sillage de la déclaration de Robert Schuman du 9 mai 1950, l’euro est l’une (et non la moindre) de ces « réalisations concrètes, créant d’abord des solidarités de fait » qui jalonnent la construction européenne. Les 12 Etats signataires du traité de Maastricht (1992), qui ont pris les décisions majeures, s’affirmaient « résolus à renforcer leurs économies ainsi qu’à en assurer la convergence, et à établir une union économique et monétaire, comportant, conformément aux dispositions du présent traité, une monnaie unique et stable ». Sous le nom d’euro, adopté en 1995, cette monnaie unique est entrée en vigueur en deux étapes, le 1er janvier 1999 et le 1er janvier 2002 et la zone euro compte actuellement 19 membres. Quel regard portons-nous aujourd’hui sur l’utilité de l’euro et sur les améliorations souhaitables ?
La monnaie unique apporte un premier avantage économique élémentaire à ses membres en supprimant entre eux les frais de change. Mais elle supprime surtout le risque de change, ce qui facilite la mobilité des capitaux et le commerce au sein de la zone. Un second avantage est la forte baisse des taux d’intérêts que la création de l’euro a induite dans de nombreux pays de la zone, que ce soit par l’effet des marchés jusqu’en 2010 ou ultérieurement grâce à l’action de la BCE. Ces taux plus bas facilitent les investissements des entreprises et réduisent la charge de la dette souveraine (les emprunts d’Etat sur le marché financier) ; sans l’euro, le service de la dette publique de la France, par exemple, coûterait 50 Md€ de plus par an, soit 2,5% du PIB. Notons cependant que les taux d’intérêt trop bas connus par certains pays du Sud jusqu’en 2010 ont facilité un surendettement du secteur privé.
Ajoutons en outre que si l’on connaissait une zone monétaire complète, comme par exemple celle des Etats-Unis, elle autoriserait des taux de croissance différenciés au sein de la même zone en permettant la coexistence de soldes de balance courante déficitaires pour les uns, et excédentaires pour les autres. Ainsi, dans une telle situation, les pays à balance courante déficitaire ne seraient pas conduits à rechercher un taux de croissance plus faible que celui correspondant à leurs besoins (démographiques par exemple). Avec une organisation optimale de la zone euro, la contrainte extérieure ne s’appliquerait en effet qu’aux bornes de la zone et non aux bornes de chaque pays la composant. La zone euro en vision consolidée est aujourd’hui d’ailleurs une des zones les plus saines au monde en termes de balance courante et de dette publique et connaît une monnaie stable.
L’utilité de l’euro s’est manifestée également lors des chocs redoutables récents : la glaciation des crédits interbancaires après la faillite de Lehman Brothers et la récession due à la très forte crise financière ; l’explosion des « spreads » sur les dettes publiques des Etats membres ; la menace de la déflation… La monnaie unique a protégé chaque pays de la zone en 2008 et 2009, car chacun des pays, s’il avait préservé sa propre monnaie, aurait été certainement plus fragile au cœur de la grande crise financière. La BCE a depuis lors su mener une politique monétaire très active et utile. En outre, lors de la crise spécifique de la zone euro, le dispositif institutionnel a été approfondi, afin de renforcer la résilience de la monnaie unique, avec la mise en place de l’Union Bancaire et du Mécanisme Européen de Stabilité.
Comme le montrent les enquêtes d’opinion dans tous les Etats membres, l’intérêt de l’euro est aujourd’hui perçu positivement par les citoyens, comme un élément de facilitation des déplacements mais aussi, plus important, comme un élément de protection. Pour autant, les avantages de l’euro doivent être mis bien plus en avant et mieux expliqués.
Les citoyens pourraient d’ailleurs mieux percevoir qu’une zone euro complète pourrait apporter une capacité de l’Europe à peser dans le monde, au même titre que les Etats-Unis avec le dollar aujourd’hui et la Chine avec le yuan demain. Ce regain de puissance au niveau européen devrait en outre pouvoir nous donner les moyens de lutter contre les effets d’extra territorialité de la puissance américaine. Au total, les citoyens de chaque nation pourraient ainsi avoir une meilleure maîtrise de leur destin.
Les déséquilibres macro-économiques
« La convergence entre les pays européens », objectif majeur des traités successifs, a été effective jusqu’à la crise de 2008, à l’exception notable du sujet des balances courantes. Mais elle a depuis fait place entre les Etats membres de la zone euro à des divergences dans les niveaux de vie et à un creusement des déséquilibres macroéconomiques. Ainsi, après une première période de convergence, la situation depuis la crise financière spécifique de la zone euro est celle d’une divergence entre ses Etats membres, qui est structurelle, lourde, multidimensionnelle, et qui va inévitablement prendre du temps pour se réduire.
L’une des difficultés majeures est l’absence de circulation des capitaux entre Etats membres de la zone euro depuis 2010. Les pays du Nord accumulent des excédents massifs (aujourd’hui réalisés plus hors zone euro qu’au sein de la zone) de leurs balances courantes, mais ils placent cette épargne entièrement hors zone euro.
Aux Etats-Unis, la stabilisation financière est assurée aux deux tiers par le secteur privé (les mouvements croisés de capitaux entre les différents États) et pour un tiers par le budget fédéral. Dans la zone euro, nous n’avons aujourd’hui ni l‘un, ni l’autre.
Cette situation traduit également une polarisation géographique de la production, qui se concentre dans les pays du Nord et fait boule de neige. Les coûts salariaux par unité produite ont divergé pendant une douzaine d’années de façon non-coopérative. Les ajustements n’ont ainsi porté que sur les pays du Sud sous la forme de « dévaluations salariales internes » et de baisse des dépenses d’investissement. Ces dévaluations internes ont de plus comme conséquence collatérale d’alourdir la dette réelle (qui elle n’est pas dévaluée parallèlement) et des répercussions sociales et politiques très problématiques. La réévaluation salariale des pays du Nord est quant à elle à ce jour embryonnaire. La mobilité de la main d’œuvre profite aux pays du Nord, mais affaiblit les pays du Sud. Le processus divergent est ainsi cumulatif.
Les règles de stabilité budgétaire ne peuvent être les seuls instruments de régulation de la zone monétaire. Elles doivent en outre être certainement simplifiées et révisées. Les outils de convergence structurelle (fonds structurels) sont foisonnants, mal coordonnés, inopérants et très concentrés sur les pays hors zone euro. Le Mécanisme Européen de Stabilité, mis en place en 2012, est un instrument non monétaire important pour garantir une aide financière si un Etat membre est frappé par un choc asymétrique. Mais ses modalités d’intervention sont ressenties comme trop intrusives par les Etats secourus et par le Parlement européen et compliquées à mettre en œuvre de par la règle d’unanimité qui s’est imposée.
Au total, ces divergences socio-économiques contribuent à la méfiance des opinions publiques et à la montée du populisme souverainiste.
L’Europe doit retrouver la voie de la convergence vers le haut. Elle doit redécouvrir les véritables raisons de cette communauté d’intérêts. La subsidiarité ne doit pas occulter l’existence des interdépendances entre Etats membres, qui justifient pleinement la recherche de jeux coopératifs. Les pays du Nord ont en fait un intérêt à long terme à la solidarité avec les pays du Sud, car si les productions devaient continuer à se rapprocher significativement des acheteurs, un grand marché intérieur européen dynamique et soutenable serait un atout majeur, préférable au mercantilisme. En outre, et avant tout, un éventuel éclatement de la zone euro aurait certes des conséquences dramatiques pour les pays en difficulté, mais induirait une forte réévaluation de la devise des pays du Nord, qui affaiblirait considérablement leur propre économie.
2. CE QUE NOUS PROPOSONS
Il est pour nous absolument essentiel de maintenir, de consolider l’euro, en complétant l’organisation de la zone euro :
- Il faut maintenir le rôle fondamental de la BCE comme prêteur en dernier ressort en cas de chocs systémiques et pour préserver l’euro « whatever it takes », tout en assurant sa stabilité.
- Les citoyens de l’Union Européenne doivent percevoir que la monnaie européenne est un facteur de puissance et d’autonomie au niveau mondial face au dollar américain et demain face au yuan chinois. Il est tout à fait souhaitable de développer bien davantage le rôle de l’euro comme monnaie internationale face au dollar et de s’affranchir le plus possible de l’extraterritorialité des lois des Etats-Unis.
- L’Union bancaire doit être complétée : il s’agit de finaliser le mécanisme de résolution par la mise en place d’un filet de sécurité sur fonds publics, et de mettre en place une garantie commune des dépôts bancaires, parallèlement à l’accélération du provisionnement des prêts défaillants (classés NPL) du bilan des banques.
- Nous devons développer une institution du type FMI (sur la base du Mécanisme Européen de Stabilité), qui puisse aider, sans création monétaire, les pays en crise asymétrique conjoncturelle de balance des paiements.
- Outre cet instrument de gestion du risque de balance des paiements, il faut un fonds de stabilisation conjoncturelle digne de ce nom ou un budget propre à la zone euro, avec un rôle contracyclique et / ou de partage du risque. Ce budget, financé sur ressources propres, devrait être soumis au vote d’une institution démocratique, par exemple issue du Parlement européen. D’autres mécanismes de partage du risque sont possibles au sein de la zone euro, et peuvent revêtir différentes formes (système d’assurance-chômage pour partie mis en commun, mise en commun d’une partie de la dette publique…).
- Ces systèmes de partage du risque doivent être conditionnés à la responsabilité exercée par chaque pays (réformes structurelles, situation budgétaire…). Sans responsabilité, il est vain de demander la solidarité. Mais il faut affirmer que si l’aléa moral ne doit être en rien négligé, il ne doit pas non plus inhiber toute solidarité. C’est à une construction équilibrée entre ces deux principes qu’il faut parvenir.
- Le retour de la mobilité des capitaux entre les pays de la zone euro est absolument central, afin que les excédents courants des uns puissent financer les déficits courants des autres et favoriser une bonne allocation du capital au sein de la zone euro. Les propositions ci-dessus doivent y contribuer fortement puisqu’elles rétabliraient la confiance des marchés financiers dans l’unité et la cohésion de la zone. A ce titre, nous devons poursuivre sur la voie ouverte par le Plan Juncker. L’union des marchés de capitaux (CMU) doit en outre constituer une éminente priorité.
- Il faut aussi mobiliser les excédents d’épargne pour financer des projets d’avenir (transition écologique, bio technologie, digital…) et financer ce type de projets d’investissement également dans les pays du Sud. Ces projets pourraient être de type publics-privés. Cela donnerait en outre une plus grande visibilité et une meilleure compréhension de l’utilité de l’Europe.
- Pour réduire la polarisation géographique cumulative de l’appareil de production et susciter un mouvement de plein développement coopératif de chaque Etat membre de la zone euro, il est nécessaire de mettre en place, en complément des points précédents, un dispositif élaborant collectivement une vision du rééquilibrage productif des différents territoires de la zone euro et de repenser les instruments : fonds structurels, incitations et garanties apportées aux investissements privés.
- Il faut aujourd’hui repenser le dispositif de surveillance des divergences macroéconomiques, et notamment renforcer la surveillance des déséquilibres des balances courantes et des divergences des coûts salariaux par unité produite. Il est nécessaire de redonner une place plus importante au dialogue entre partenaires sociaux à l’échelle de la zone euro, notamment pour éviter la course au moins-disant social.
3. CONCLUSION
Il faut mettre en lumière les avantages de l’euro et en quoi il protège les citoyens. Il s’agit aussi de souligner que la monnaie unique renforce le lien au sein de la zone et crée une solidarité de fait. C’est un facteur de paix. La destruction de l’euro aurait de graves conséquences pour l’Europe.
Nous pensons nécessaire à cet effet de promouvoir une campagne pédagogique notamment sous la forme d’un dictionnaire des idées reçues pour combattre les rumeurs erronées, voire malveillantes qui circulent sur l’histoire et les résultats de la construction européenne.
Vous pouvez retrouver le document original ici.