Les banques centrales ont bien et vite réagi. Les États, comme en France, ont également agi de façon très rapide et appropriée pour tenter de prendre au mieux en charge le coût de cette chute inédite de la production, en permettant tant que possible le financement des pertes des entreprises et en prenant en charge le coût du travail qui, sans chiffre d’affaires, ne peuvent plus continuer à payer leurs salariés. Et ce, pour éviter au mieux les licenciements et les faillites. Et protéger autant que faire se peut la capacité productive et prévenir un développement effroyable de la pauvreté.
Au fond, cet ensemble de mesures suspend temporairement la contrainte monétaire des différents agents économiques, entreprises et ménages. Contrainte monétaire qui s’applique en temps normal, car elle est indispensable à un fonctionnement efficace de l’économie.
Les seules entreprises qui doivent survivre sur le moyen-long terme sont celles qui ne perdent pas durablement d’argent, sans quoi aucune efficacité économique – qui comme aimait à dire Michel Rocard est la seule bonne façon de ménager la peine des hommes – ne serait possible et aucune croissance schumpéterienne ne serait permise. Il en va de même pour les ménages qui ne peuvent durablement dépenser plus qu’ils ne gagnent.
Mais aujourd’hui, dans ce gigantesque trou d’air économique, l’exercice normal de la contrainte monétaire serait catastrophique, conduisant à des faillites et à des pertes d’emplois innombrables et irrécupérables.
Et les banques centrales, quant à elles, tout en assurant la liquidité nécessaire au système financier, suspendent à bon escient momentanément la contrainte monétaire des États.
Une fois réellement finie la crise sanitaire, la sortie de cette suspension extraordinaire ne sera pas simple. Et pourtant elle sera indispensable. Et il serait trompeur et dangereux de laisser croire que la contrainte monétaire de tous pourrait être durablement levée, par le seul jeu des banques centrales qui pourraient « ad libitum » acheter les dettes tant des États que des entreprises.
Il ne faudra en fait ni remettre en place brutalement la contrainte monétaire au risque de voir replonger rapidement l’économie, ni la laisser suspendue trop longtemps. Car il ne faudra pas provoquer de fuite devant la monnaie, monnaie elle-même qui ne vaut que tant que l’on accorde confiance à l’exercice efficace de la contrainte monétaire, donc confiance aux banques et aux banques centrales. Et confiance dans la qualité des dettes, dont notamment la dette publique.
En l’occurrence, une partie du surcroît de la dette publique due à la lutte contre la pandémie devra, me semble-t-il, être portée à taux zéro et quasi-indéfiniment par les banques centrales, pour alléger le fardeau et permettre à la croissance de revenir. Mais cela devra être réalisé de façon strictement circonscrite et précise. L’idée d’une suppression permanente de la contrainte par les banques centrales n’est qu’une illusion funeste.
Certes, il n’y a plus de corrélation depuis les années 80 entre masse monétaire et inflation. Le risque majeur de faire comme si les contraintes monétaires et économiques n’existaient plus n’est donc pas de retrouver de l’inflation classique (bienvenue au contraire, si elle restait contenue), mais de provoquer une perte de confiance dans la monnaie, de par une défiance généralisée.
Ce serait à plus ou moins brève échéance l’apparition d’une forme d’hyper-inflation et d´une instabilité financière majeure. L’histoire économique, y compris récente, est remplie d’exemples de ruines et de crises interminables et socialement terribles dues à l’illusion du fait qu’aucune contrainte n’existe et que tout est possible sans avoir à produire la richesse qui le permet.
La sortie pourra ainsi comporter des risques élevés d’erreurs de politique économique, qui, sous le coup de l’émotion et de la pression de l’opinion, pourrait ici vouloir trop rapidement revenir à l’orthodoxie et là croire pouvoir s’exonérer pour toujours de toute contrainte.
Il faudra conduire une solide politique d’offre pour reconstituer la capacité de production du pays et même l’accroître pour diminuer sa dépendance stratégique. On aura besoin de toute l’énergie, de la capacité de travail et de l’esprit d’entreprise de tous. Cette politique d’offre devra mobiliser davantage le travail et comporter un volet important de recapitalisation des entreprises et de facilitation des investissements. Les entreprises en effet sortiront surendettées de cette période et investiront durablement de façon insuffisante sinon.
Cette politique d’offre devra être accompagnée d’une politique de soutien de la demande, tant les deux ont à souffrir pendant cette crise. L’augmentation des impôts ne serait compatible ni avec l’une ni avec l’autre. Il faudra donc accepter des budgets en réduction de déficit très progressive et des politiques monétaires qui ne reviendront que précautionneusement sur leurs pratiques non conventionnelles. Mais dans une programmation très explicite de retour à la normale pour sauver la confiance dans les dettes des États et dans la monnaie.