Lors d’une intervention organisée par le cabinet CARLARA, M. Olivier KLEIN, directeur général du groupe BRED, professeur affilié en économie et en finance à l’Ecole des hautes études commerciales, a présenté son livre « Crises et mutations : petites leçons bancaires »
Lors d’une intervention organisée par le cabinet CARLARA et animée par Me Edouard de LAMAZE, avocat à la cour d’appel de Paris, associé cofondateur du cabinet Carbonnier Lamaze Rasle-CARLARA, maire de Bois-Héroult et conseiller régional de Normandie, M. Olivier KLEIN, directeur général du groupe BRED, par ailleurs professeur affilié en économie et en finance à l’Ecole des hautes études commerciales-HEC, a présenté son dernier ouvrage intitulé « Crises et mutations : petites leçons bancaires. Choc des ruptures ou gestion sereine de la transformation ? » (Ed. Eyrolles).
Un livre sur l’industrie bancaire qui n’a cessé de se transformer, comme l’a dit Me de LAMAZE en introduction, ouvrage qui revient sur son histoire « en remontant au IIIe millénaire avant Jésus-Christ en Mésopotamie pour arriver jusqu’à la libéralisation financière au milieu des années 1980, la crise des crédits subprimes qui a éclaté en 2007 aux Etats-Unis, et qui aborde in fine, la menace actuelle d’une désintermédiation opérée par les banques en ligne, low-costs, les fintechs et bientôt les Gafam ».
En réaction à certaines sirènes annonçant la fin de la banque commerciale, M. Olivier KLEIN démontre que son utilité économique et sociale demeure intacte, celle-ci résidant dans sa fonction de centrale de risque et de financement de l’économie réelle. Ce en quoi la banque commerciale incarne l’essence même de la banque. Ce qui ne la dispense pas pour autant de la nécessité de se réinventer.
Mais l’ouvrage dépasse ce plaidoyer et confronte plus largement les notions de crise et de mutation, les crises étant des mutations mal anticipées, faute de la compréhension nécessaire des mouvements de fond qui aurait permis une gestion responsable le moment venu. Le néologisme tant utilisé de « disruption » ne fait que révéler une impréparation coupable face aux transformations en cours. Là où, à l’inverse, M. KLEIN invite à la prise de recul pour mieux comprendre ce qui nous entoure en convoquant la philosophie et les sciences humaines pour penser les changements à l’œuvre autrement qu’en termes de rupture et de destruction.
Ainsi, la crise sanitaire que nous traversons conduit-elle à du nouveau ? s’interroge l’auteur. Ne serait- elle pas davantage l’occasion d’une accélération de la transformation qu’une rupture en tant que telle ?
Anticiper, c’est donc avant tout se laisser la possibilité de choisir et de décider. A cet égard, le livre de M. Olivier KLEIN développe une philosophie de l’action, de la décision politique et managériale. Il est plus largement un appel à tout gouvernement, à toute entreprise d’accompagner les mutations pour in fine co-construire le bien commun en s’appuyant sur l’intelligence et sur la sensibilité humaine.
Concluant son propos de présentation, Me Edouard de LAMAZE a fait un parallèle avec son propre métier d’avocat. La réflexion de l’auteur sur l’avenir de la banque commerciale, Me de LAMAZE l’a faite sienne en ce qu’elle peut s’appliquer au mot près à sa propre profession et plus généralement aux professions libérales dans leur ensemble, a relevé l’ancien délégué interministériel aux professions libérales qu’il fut de 1996 à 2002 et le président de l’Observatoire national des professions libérales qu’il est par ailleurs. Celui-ci partage la conviction de l’auteur de la nécessaire orientation de l’activité vers le conseil, véritable valeur ajoutée du service, et le recentrage sur l’humain, indissociable d’une certaine proximité géographique. Avec pour pierre angulaire, a terminé Me de LAMAZE, la dimension de tiers de confiance qui sous-tend ces métiers de service qu’ils soient financier ou libéral, sans oublier la protection des données personnelles des clients.
Penser les mutations pour éviter les disruptions
Le livre parle certes de banque mais aussi de bien d’autres aspects. La question de savoir comment penser un monde en mutation et comment conduire les entreprises dans un tel contexte sont au cœur de l’ouvrage. En un mot, « il faut penser les mutations pour éviter les disruptions », a résumé M. Olivier KLEIN dans son propos liminaire.
Dans un prologue, l’auteur met en exergue trois idées-forces : « penser les crises économiques et sociétales » ; « les entreprises, comme la société, sont des organismes vivants » ; « apprendre à penser plus ».
Penser les crises économiques et sociétales
Se référant à la définition gramscienne de la crise (« la crise est ce qui sépare le vieux du neuf »), M. Olivier KLEIN a avancé sa propre vision de la crise, à savoir « le moment où les modes de régulation, qui organisaient la société et l’économie de façon efficace, sont en train de changer parce que leur efficacité commence à baisser, et qu’apparaît progressivement, et souvent dans la douleur, un nouveau mode de régulation ». Un processus qui n’arrive donc pas brutalement, mais qui au contraire se fait dans le temps long. « Le temps de la mutation est long, et le vieux ne s’écroule pas d’un coup, il se transforme, se réorganise. Le vieux produit du neuf. Et il y a du vieux et il y a du neuf dans les nouveaux modes de régulation qui apparaissent », a-t-il relevé.
Les entreprises comme la société sont des organismes vivants
Partant du postulat que les entreprises et la société sont des organismes vivants subissant des chocs internes ou/et externes plus ou moins importants, M. KLEIN considère que pour que celles-ci parviennent à les surmonter, « il faut des règles, des routines, des façons de savoir y répondre presque de façon systématique et automatique ». Mais il leur faut également leur part d’auto- organisation. « Il faut une part d’autonomie des éléments qui composent nos entreprises, nos sociétés, pour absorber les chocs les plus forts. Pour se réorganiser, (…) chacun doit être capable de prendre en charge la partie du changement qui lui revient pour que l’ensemble s’organise de la meilleure façon pour l’avenir en intégrant les chocs et en les dépassant », a-t-il expliqué.
Dès lors, toute entreprise comme toute société, pour faire face aux crises, doit être un compromis entre ordre et auto-organisation, sans céder à un trop-plein d’ordre au risque que lors d’un choc trop fort, la mécanique se rompe. De même, ne faut-il pas un excès d’autonomie sans quoi au moindre coup de vent, la fumée se dissipe. « Le cristal est rigide, toutes les règles sont figées, mais au moindre choc, il casse », a-t-il dit renvoyant aux ouvrages de M. Henri ATLAN, biologiste, auteur de « Entre le cristal et la fumée », et du physicien et chimiste Ilya PRIGOGINE, auteur de « La Nouvelle Alliance » (entre les sciences dures et les sciences humaines) co-écrit avec Mme Isabelle STENGERS.
Apprendre à penser plus
Il faut apprendre à penser plus, apprendre à anticiper mieux, a estimé M. KLEIN qui reprend cette citation de Friedrich NIETZSCHE : « on apprend trop, on ne pense pas assez ». Quand on regarde le temps long et que l’on a une analyse un peu plus en profondeur sur les organisations, sur leurs contraintes, sur leurs contradictions, sur la façon aussi dont les chocs extérieurs peuvent survenir, alors, sans jamais avoir de boule de cristal ni de certitudes, on peut mieux anticiper les changements forts, a-t-il fait valoir. Pour cela, il faut « penser hors de la doxa », « hors du prêt à penser », il faut « essayer de se sortir du mimétisme ». Or, dans le secteur économique et particulièrement pour les entreprises cotées, le mimétisme est très présent, poussé par la bourse et les analystes financiers notamment qui partagent souvent une même vision.
Des mimétismes, M. Olivier KLEIN en cite trois formes. La première forme est un « mimétisme informationnel », à savoir « je fais comme les autres parce que je pense que les autres savent mieux que moi », parfaitement rationnel même s’il conduit tout le monde dans le même sens. La deuxième est un « mimétisme autoréférentiel », très présent sur les marchés financiers, qui consiste dans le fait que « peu importe de savoir si les autres pensent mieux que moi, les autres ne savent peut-être pas plus que moi, mais là où ils vont, c’est là où il faut que j’aille le plus vite possible, car la foule donne le sens ». Sur les marchés financiers, c’est toujours le cas. « La question n’est pas de savoir si l’on a raison ou tort mais il s’agit de prendre le départ avant les autres, que ce soit à la hausse comme à la baisse », a résumé l’auteur pour qui cette forme de mimétisme puissante est certes parfaitement rationnelle à titre individuel mais peut être, à l’inverse, complétement irrationnelle à titre collectif, poussant à la création de bulles spéculatives majeures. Enfin, la troisième forme de mimétisme, souvent présente dans la vie en société, comme dans la gestion des entreprises, est un « mimétisme normatif » qui vise à « faire comme les autres pour ne pas qu’on nous dise que l’on a échoué, dès lors que l’on respecte la ‘doxa' ». Reprenant la pensée de John Maynard KEYNES – « mieux vaut avoir tort avec les conventions que raison contre elles » -, cette dernière forme de mimétisme permet une certaine cohésion sociale, mais « n’amène pas toujours la meilleure anticipation des mutations », a noté M. KLEIN.
Questionné par M. Stéphane LAYANI, président-directeur général de la SEMMARIS (Rungis), sur les moyens à mettre en place pour lutter contre les mimétismes en matière financière, en prenant pour exemple « des licornes qui ont levé des centaines de millions d’euros » alors qu’aucun business model ne les sous-tend, M. Olivier KLEIN a abondé dans son sens, relevant au passage que la hausse des taux va changer la donne et assainir ce secteur de la tech.
Mais, au-delà, comment éviter ce genre de phénomènes ? Etudiant lui- même le mécanisme des bulles financières, M. KLEIN a souligné qu’elles « n’éclatent que parce qu’il y a eu un mimétisme de pensée à un moment donné fondé sur de mauvaises façons de penser ». Certes, il ne faut pas en faire une généralité car il y a des mimétismes positifs. En revanche, s’agissant de ces mimétismes autoréférentiels, contre lesquels il est très difficile de lutter, ils peuvent conduire à des bulles gigantesques et à des crises financières et sociales majeures. « Dans le domaine de la finance, contrairement à la production réelle de services ou de produits physiques » où l’on a un prix qui repose, le plus souvent, sur des éléments concrets, le prix fondamental des actifs financiers « n’est pas connu. C’est quelque chose qui par construction est autoréférentiel parce que leur prix est l’actualisation des revenus futurs projetés à l’infini ». Or, si l’on anticipe des revenus futurs très élevés, les prix s’envolent et des bulles se créent. C’est ce qui s’est passé avant 2000 aux Etats-Unis.
Que faire contre cela ? « Il faut mieux former, et la presse, et les analystes financiers » et leur donner la capacité de réfléchir en dehors des normes, a estimé M. KLEIN. Pour autant, c’est difficile car il faut du temps « et les journalistes sont souvent sous une pression de l’écrit immédiat », a-t-il reconnu. Se référant au livre de M. Nassim Nicholas TALEB, « Le Cygne noir », M. KLEIN a souligné qu’il fallait savoir écouter les cygnes noirs et laisser « plus de place aux interprétations divergentes », ce qui n’est « pas facile », a-t-il admis. « Certes, des règles prudentielles dans le secteur financier ont été très heureusement mises en place mais elles ne résolvent pas tout, loin de là ». Il en est ainsi « des rémunérations variables de ceux qui prennent des risques qui sont étalées sur trois/cinq ans ». Une « très bonne régulation » car elle oblige à voir sur la période la réalité des risques qu’ils ont pris la première année. C’est à ce type de régulations qu’il faut réfléchir, ou encore à développer « des observatoires » tels la Banque des règlements internationaux ou le Haut Conseil de stabilité financière. Ces derniers « doivent être indépendants et donner leurs analyses en avertissant que l’on est peut-être en train de diverger d’un prix fondamental ».
Dès lors, « l’exigence de penser par soi-même est nécessaire, précisément si l’on veut tenter de penser les mutations », a-t-il dit. Pour illustrer son raisonnement, M. Olivier KLEIN s’est intéressé à la question de l’inflation. Dans un premier temps, très nombreux étaient ceux qui pensaient que l’inflation était transitoire, s’appuyant sur des modèles qui poussaient à cette analyse. Or, les modèles étaient fondés sur les données des vingt dernières années. Il y avait là des changements structurels qui s’opéraient et que les modèles ne pouvaient pas prendre en compte, puisqu’ils connaissaient précisément le même schéma depuis vingt ans. Il fallait donc repenser les modèles eux-mêmes.
Pour gérer sereinement, c’est-à-dire sans disruption, les mutations, il faut alors réfléchir à l’essence de son métier, à son utilité profonde, en y distinguant ce qui doit durer, qui doit être protégé, de ce qui relève des conditions d’exercice de son métier qui peuvent se modifier avec le temps. Et cette capacité de réformer en continu est précisément antinomique avec l’esprit de changement brutal.
Autant de convictions qui structurent la vision de l’auteur dans un certain nombre de domaines.
Révolution digitale et intelligence artificielle
La révolution technologique et les modifications des modes de régulation
Les révolutions technologiques qui sont dans le temps long, « dans l’histoire du capitalisme, des moteurs profonds qui permettent de nouveaux gains de productivité, un regain d’efficacité du système et qui nécessitent des réorganisations dans la façon de travailler », induisent des modifications des « modes de régulations de l’économie » et ce, de trois ordres : « des modes de consommation », des « modes de production » et des « normes salariales », a avancé le directeur général du groupe BRED.
Concernant d’abord les modes de consommation, « certains sont incompressibles tel Internet ou le téléphone mobile qui modifient le comportement des consommateurs puisque je peux consommer à distance, bien mieux vérifier, bien mieux comparer, bien mieux m’informer et naturellement, le cas échéant, ne plus me déplacer pour acheter ».
Les modes de production ont également été impactés puisque « progressivement, grâce au digital, à la robotisation, on peut supprimer les tâches répétitives et se concentrer sur les tâches à valeur ajoutée ».
Enfin, pour ce qui est des normes salariales, l’auteur n’a pas caché son peu d’appétence pour un monde, révolution technologique aidant, dans lequel les entreprises, et avec elles la notion de corps social travaillant durablement ensemble, « disparaîtraient progressivement au profit de réunions d’intérêt transitoires rassemblant des personnes qui ont des missions transitoires et qui, une fois leurs missions passées, changeraient de projet ». On ne peut que constater une ubérisation de certaines activités où les gens sont associés sans être salariés. Il en serait de même du télétravail s’il devait être poussé trop loin au-delà d’un minimum nécessaire.
Interrogé par Me Dorothée de BERNIS, avocate associée chez CARLARA, sur sa vision du télétravail et son développement en entreprise, M. KLEIN a estimé que si le travail à distance a été un « bienfait » durant la pandémie, il a aussi ses limites et le développer comme une façon de faire de l’entreprise serait « dangereux », et ce sur plusieurs plans. « L’entreprise est probablement le plus grand lieu de socialisation qui existe dans une société. Quand les gens restent chez eux seuls, à la fin ils s’isolent », a-t-il mis en garde. Quant au huis clos familial, il peut également se révéler difficile. Le télétravail peut, en outre, induire une moindre efficacité lors de la participation à des projets communs en raison, en particulier, de l’absence de communication visuelle, de proximité. Ce mode d’organisation peut aussi conduire certains à travailler trop et, à l’inverse, engendrer une baisse de productivité chez d’autres. Enfin, la généralisation du télétravail est porteuse d’un double risque. En excès, il peut tout simplement abîmer la notion de travail. En continu, il peut aussi menacer l’emploi en France au regard du coût du travail dans le pays. La tentation peut alors exister d’étendre le champ des recrutements hors de l’Hexagone. Pour contrer ce risque, là comme ailleurs, c’est la valeur ajoutée apportée et l’investissement dans une économie de la connaissance et de l’innovation qui doivent primer, a conclu le directeur général de la BRED sur ce point.
L’intelligence artificielle n’est pas intelligente
Poursuivant sa réflexion sur la question de l’intelligence artificielle, M. Olivier KLEIN a considéré que « dans ‘intelligence artificielle’ il y avait un mot de trop : ‘intelligence' ». « L’intelligence artificielle n’est pas intelligente », a-t-il dit considérant qu’il s’agit davantage « d’une capacité extraordinaire de puissance informatique pour traiter beaucoup plus de données ». Elle est, certes, très utile. Pour autant, cela demeure de « l’analyse de données » et si elle représente « un complément à l’humain considérable », l’intelligence artificielle ne « remplace pas l’intelligence, la vraie », a-t-il tenu à souligner.
L’intelligence, la vraie, est d’après lui « multiforme ». S’appuyant sur la définition pascalienne complétée par KANT de l’intelligence, il considère que celle-ci doit être une alliance entre « l’esprit de finesse », « l’esprit de géométrie », et « l’intelligence d’anticipation, de sensibilité ». En effet, si l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie « sont deux formes magnifiques d’intelligence », « il vaut mieux les allier, mais elles ne suffisent pas l’une et l’autre pour arriver à prendre des décisions pertinentes ». Pour ce faire, il manque l’intelligence d’anticipation, autrement appelée par M. KLEIN l’intelligence de sensibilité, autrement dit « la sensibilité aux gens et aux choses », ou encore « l’intuition » kantienne, sans laquelle on ne sent pas comment et quand les choses vont se produire. Dans ce cas, on n’a « pas la capacité d’anticiper et donc de prendre les décisions les plus pertinentes », a-t-il démontré.
Révolution digitale et rapports entre producteurs, distributeurs et consommateurs : une inversion pyramidale
Abordant ensuite les enjeux en matière de consommation, M. KLEIN a rappelé qu’avec le développement de « l’industrie de masse » à la suite de la Seconde Guerre mondiale, les chaînes de production se sont développées de sorte « qu’on pouvait produire moins cher et trouver plus de consommateurs ». Parallèlement, prenant le pas sur la rémunération à la tâche, le salariat s’est développé avec en corollaire, pour le salarié payé au mois, la prévisibilité de ses revenus. Dès lors, on a pu développer le crédit à la consommation et le crédit tout court, parce qu’il avait désormais une capacité de planification budgétaire.
On avait alors une pyramide qui partait du producteur, qui était maître des choses, vers le consommateur. L’intermédiaire était alors celui, choisi par le producteur, qui avait la chance de distribuer ses produits au consommateur final, a rappelé M. Olivier KLEIN.
Mais avec la révolution digitale, on assiste désormais à « une certaine inversion pyramidale », a souligné celui-ci. « Avec le digital, est arrivé la capacité du consommateur de bien mieux s’informer, de bien mieux comparer, de bien mieux changer. Il a vraiment pris le pouvoir ».
Les producteurs pouvant désormais vendre en direct, les distributeurs vont-ils pour autant se faire désintermédier ? « Eh bien, je ne le crois pas », a-t-il martelé. Il y a certes des intermédiaires qui disparaîtront. Mais au global, « la contrepartie de cette révolution, c’est que le distributeur, s’il sait trouver la valeur ajoutée à apporter à ses clients, les services, les conseils, et mieux aider le consommateur à trouver la solution optimale pour lui quel que soit le sujet, alors peut-être le distributeur peut-il même prendre le pouvoir sur le producteur dans certains domaines », a-t-il considéré. En effet, s’il sait maîtriser la masse de données en connaissant bien ses clients, au lieu de proposer un seul produit, il saura apporter la solution qui conviendra le mieux à son client en fonction de ce qu’il en connaît intimement », faisant de la valeur ajoutée et de la proximité relationnelle des éléments clés, a développé M. Olivier KLEIN pour qui « les distributeurs ont un rôle fondamental à jouer ». C’est ainsi le distributeur qui, par sa connaissance de son client, ira demander au producteur de lui concevoir tel ou tel produit qu’il saura être adapté à ses besoins. Dès lors, « les producteurs sont plus asservis aux distributeurs que jamais si le distributeur joue bien son rôle ». Avec le développement du digital, la pyramide s’est donc inversée au profit des distributeurs, a défendu ce dernier.
Révolution digitale et management des entreprises : de l’entreprise pyramidale à l’entreprise en réseaux
Pour sa part, l’entreprise, avec le digital, de « pyramidale », est devenue une « entreprise en réseaux » avec « plus d’autonomie pour chacun des acteurs. Ce qui ne prive pas de la nécessité de la norme, de la règle et de la routine de gestion ». Les salariés voient leur travail changer. Le manager qui « n’est plus là pour distribuer l’information » mais « pour apporter de la valeur ajoutée à ses équipes » doit porter ce mouvement. Car « le digital bien pris libère du temps » en éliminant les tâches répétitives au profit de tâches à valeur ajoutée, ce qui passe également par plus de formation. Prenant pour exemple la BRED, son directeur général a indiqué avoir augmenté en dix ans de 40 % la formation en favorisant en parallèle la capacité à trouver plus d’autonomie, plus de responsabilité, plus de valeur ajoutée, en professionnalisant mieux les personnes. La révolution digitale se révèle un atout considérable dès lors qu’on prend le temps de s’en servir valablement au lieu de penser que ça va remplacer les hommes, a-t-il estimé.
Révolution digitale et secteur bancaire
Quant au secteur bancaire, c’est une « erreur » de penser que le digital conduit à une disruption et que les banques de réseau vont être désintermédiées par les néo-banques. Les faits en attestent puisqu’il « y a à peu près zéro banque en Europe, purement Internet, qui soit rentable. Toutes perdent de l’argent, beaucoup ». Pourquoi ? « Parce qu’elles n’ont pas compris que la banque, ce n’était pas que l’univers du transactionnel », a relevé M. KLEIN.
Certes, les applications bancaires ont permis d’autonomiser les clients s’agissant de la banque du quotidien, le digital apportant une praticité bien plus grande et dégageant les clients comme les établissements bancaires, en libérant de leur temps les tâches sans intérêt au profit de celles à valeur ajoutée.
M. Olivier KLEIN en est convaincu, le digital ne peut pas tout remplacer dans les services d’un établissement bancaire. « Depuis dix ans, celles des banques qui, étant persuadées que le digital provoquerait une disruption, n’ont eu de cesse de réduire leur réseau toujours plus, ont certes baissé leurs coûts. Mais leur produit net bancaire a baissé encore plus vite, a-t-il pointé. A l’inverse, celles qui ont su se servir de la révolution technologique pour se réorganiser en profondeur s’en sortent bien, à l’image de la BRED qui a réorganisé le travail de ses équipes, son réseau d’agences sans pour autant le restreindre, et qui a vu ainsi son produit net bancaire beaucoup augmenté, sensiblement plus que ses charges. In fine, le groupe a gagné en efficacité, s’est-il félicité.
Dès lors, la banque « cygne ou phénix » ? « Eh bien, je pense que tout dépend de la façon dont on prend le sujet », a affirmé M. KLEIN. « En pariant sur l’humain, en veillant à l’exigence de la formation, l’exigence de la montée en gamme, l’exigence de la valeur ajoutée, on peut produire quelque chose de durable, naturellement en investissant aussi beaucoup, et sur l’humain, et sur le digital », a-t-il résumé. En prenant « le mieux du vieux » et « le mieux du neuf », il est possible de « surperformer » à l’image de sa banque qui a développé le concept de banque 100 % conseil.
Et de conclure : « Toute mutation est source de danger fondamental si on ne pense pas bien cette mutation. Si on n’anticipe pas et si on ne fait pas l’effort de comprendre l’essence même de son propre métier, on est facilement dans l’idée de la disruption alors que bien souvent, on peut utiliser ce qu’il y a de neuf, ce qui apparaît, les chocs, les révolutions technologiques, pour au contraire approfondir ce qui est au cœur de son métier, le maintenir, le protéger » tout en se réorganisant, bien entendu, pour s’adapter aux nouvelles conditions de fonctionnement. C’est cela qui justifie son utilité sociale et économique.
La crypto-monnaie, une mutation ?
Me Christophe LACHAUX, avocat associé chez CARLARA, s’est interrogé sur le fait de savoir si les crypto- monnaies constituaient ou non une mutation au sens où M. KLEIN l’a développé dans son propos.
« Pour moi, le système monétaire est un système qui permet le règlement des dettes », a répondu ce dernier avec sa casquette de professeur de politique monétaire. Dès lors, « il doit être stable, incontestable et accepté par tous ». Aujourd’hui, cette monnaie, « c’est la monnaie des banques qui sont elles-mêmes régulées par la banque centrale, donc par une institution en dehors des marchés. Et les banques elles-mêmes ne sont pas des participantes au marché au jour le jour », a souligné M. KLEIN. C’est pourquoi la monnaie scripturale est acceptée par tous sauf en cas de défiance vis-à- vis d’une banque. Le cœur du sujet, c’est la confiance dans la monnaie.
Dans ce cadre, « pourquoi la crypto-monnaie ne peut-elle pas être une monnaie et sa valeur ne peut être que zéro, sauf dans des cas d’emballements spéculatifs ? C’est parce qu’une crypto-monnaie peut être créée par n’importe qui ». On gagne peu ou prou 5 % du montant de l’émission, et par effet de mode, le cours peut grimper. Mais le fondement même, c’est que « la crypto-monnaie n’est pas acceptable comme monnaie », a soutenu M. KLEIN. En effet, « c’est la monnaie de quelqu’un qui n’est supervisé par personne ». Si chacun crée sa monnaie, elle ne vaut plus rien car il n’y a plus de contraintes monétaires, a-t-il affirmé. Or, dans un monde de rareté, il ne peut y avoir que de la contrainte monétaire. Il faut que chacun ait une limite dans sa capacité d’acheter. Il faut donc des monnaies qui ne puissent pas être créées par chacun.
En marge du débat, Me Edouard de LAMAZE a, quant à lui, pour conclure, interrogé le directeur général de la BRED sur la question de la finance au regard des enjeux de climat. Face à l’ampleur des enjeux climatiques, il faut que « tout le monde s’y mette » pour l’enrayer, a déclaré d’entrée de jeu ce dernier, et les banques proposent « évidemment à [leurs] clients des produits qui peuvent être plus verts », a-t-il indiqué. Même s’il n’est pas toujours aisé de contrôler qu’il n’y a pas de « greenwashing ». Pour autant, de quel droit une banque pourrait-elle refuser à son client de le financer, à une PME notamment ?
Derrière les injonctions des uns et des autres, la réalité est beaucoup plus complexe et arbitrer n’est pas toujours aisé.
En conclusion, a-t-il estimé, il faut se méfier des faux-semblants, prendre en compte des situations complexes, et bâtir une planification énergétique réaliste. C’est pourquoi ces évolutions majeures ne peuvent être menées à bien sans une planification de la transition énergétique sérieuse. Faisant sien le point de vue de l’économiste Christian GOLLIER, directeur général de la Toulouse School of Economics, et un des auteurs de rapports du GIEC, M. Olivier KLEIN a conclu que c’est aux gouvernements de prendre la responsabilité de gérer ces enjeux et de fixer les règles que les banques doivent appliquer et non l’inverse.