Fin octobre, la BCE a maintenu le statu quo sur les taux d’intérêts directeurs. Christine Lagarde a alors précisé qu’une baisse, ou même son éventualité, était “totalement prématurée”. La politique monétaire n’échappe pas à la règle : en toute action, être considéré comme digne de confiance est essentiel. Cette crédibilité n’est toutefois pas exempte de certains paradoxes avec lesquels les banques centrales doivent composer. Analyse et décryptage de l’actualité monétaire.
En toute action, la crédibilité est essentielle. Elle permet plus facilement d’atteindre l’objectif souhaité car tous pensent que celui qui agit est digne de confiance. Dans la justesse du but recherché. Dans la détermination pour y parvenir. Comme dans le choix judicieux des moyens. Il en va ainsi tant dans le management des entreprises qu’en politique et bien évidemment en politique monétaire. Or, il existe en ce domaine des paradoxes qui ne contredisent en rien le principe ici énoncé, mais qui le complexifient.
Le premier réside dans le fait que les banques centrales, en se montrant crédibles dans les années 90 et la première moitié des années 2000, tant dans l’obtention d’une croissance économique régulière que d’une inflation basse (aidées en cela par la mondialisation et la révolution numérique), ont alors considéré qu’une longue période de bonne maîtrise conjointe de la croissance et de l’inflation entraînait la stabilité financière comme par surcroît, soit une évolution raisonnable des prix des actifs (actions et immobilier), comme du niveau d’endettement des acteurs économiques.
Or, la crise financière des années 2007-2009 a montré avec force qu’une trop grande période de taux d’intérêt longs trop bas -relativement au taux de croissance- conduisait aisément à des bulles financières. La crédibilité des banques centrales doit donc dorénavant dépasser ce premier paradoxe. Elle doit s’exercer simultanément sur les trois cadrans : croissance équilibrée, inflation maîtrisée et stabilité financière. Même s’il est loin d’être aisé de rendre ces trois objectifs compatibles à court terme, à moyen-long terme en revanche il est bien plus efficace en termes de croissance de n’en délaisser aucun.
Il est un deuxième paradoxe auxquelles sont confrontées aujourd’hui les banques centrales. Plus elles sont crédibles dans leur volonté de ne pas laisser s’installer de régime inflationniste, plus facilement et plus vite les anticipations d’inflation, tant des ménages que des entreprises, convergent vers l’objectif poursuivi, donc plus la politique monétaire est efficace. La capacité des banques centrales à ramener l’inflation au niveau désiré tient en fait à l’impact sur le niveau de la demande de la hausse de leurs taux directeurs -entraînant ainsi les taux longs-, mais aussi bien, par leur crédibilité, au maintien de l’ancrage des anticipations sur la cible d’inflation voulue. En cas contraire, la dérive des anticipations conduit à une indexation des prix sur les prix, des salaires sur les prix et des prix sur les salaires.
D’où vient alors le paradoxe ? Il tient à ce que cette crédibilité, si nécessaire et si utile, peut conduire les marchés financiers, anticipant le succès de la lutte contre l’inflation des banques centrales, à pousser trop tôt les taux d’intérêt longs à des niveaux plus bas, contrariant l’effet de l’arme des taux dans la lutte contre l’inflation. De même, parallèlement, en faisant baisser les taux longs à peine pensent-ils que les banques centrales ont terminé le cycle haussier de leurs taux directeurs. Or, historiquement des politiques monétaires relâchées prématurément ont souvent conduit à des rebonds ultérieurs significatifs et très dommageables de l’inflation. D’où ce que l’on constate actuellement dans la communication des banques centrales : affirmer qu’elles ne sont pas près d’abaisser leurs taux, voire même qu’elles peuvent encore les augmenter si besoin en était. Les banques centrales montrent ainsi leur détermination à ne pas fléchir prématurément pour les raisons objectives évoquées ci-dessus, comme par nécessité d’un jeu tactique avec les marchés. Elles ne doivent en effet pas leur laisser croire que la bataille est gagnée par avance, crédibilité aidant. En fait, à court terme, et tant que l’inflation sous-jacente reste trop élevée, seule une crise économico-financière forte pourrait amener les banques centrales à modifier leur communication et leur politique.
Ces paradoxes montrent, entre autres, que la politique monétaire est tout autant une science qu’un art.
Professeur d’Économie et Finance à HEC