Le wokisme est le signe d’un affaiblissement intellectuel et moral de la civilisation occidentale. Il est une manifestation aboutie de ce que j’appelle l’« hyperdémocratie », soit la démocratie poussée à l’extrême, qui prône, sous prétexte de justice sociale- l’enfer est pavé de bonnes intentions-, l’égalité totale de tous avec chacun, ce qui à son tour crée l’abhorration des différences naturelles et l’adoration des particularismes culturels. Jusqu’à nier la réalité de la différence biologique entre les sexes, par exemple.
Cette égalité forcenée engendre une jalousie maladive, qui tue la méritocratie en imposant le nivellement par le bas, confondant gravement la recherche si nécessaire de l’égalité des chances avec la volonté de forcer l’égalité formelle en tout.
Le wokisme déclare en outre de façon systématique et binaire qui est opprimé et qui est oppresseur, réduisant de façon simpliste l’analyse de l’histoire des sociétés à cette seule opposition et en désignant ainsi péremptoirement qui a le droit de parler et qui doit avoir honte de soi. En annihilant tout débat. Et, in fine, en sapant le principe même de la démocratie.
Le wokisme affiche ainsi sa haine de l’histoire et de la culture occidentales au point de vouloir les détruire ou les reconstruire. Voire les réécrire. S’obsédant sur leurs seules fautes, il ignore systématiquement et asymétriquement celles des autres religions, cultures ou civilisations.
Nul besoin pour caractériser ainsi le wokisme d’absoudre notre histoire de ses erreurs et de méconnaître le chemin de progression qu’il est nécessaire de poursuivre. Mais qui peut contester valablement que notre civilisation a été probablement la seule dans l’histoire à produire une amélioration régulière, certes non linéaire, de la situation des femmes, de ceux qui n’ont que leur travail comme richesse (des esclaves puis des salariés), de la tolérance religieuse, de l’égalité des races, etc. ?
A parfaire toujours donc, mais sans jamais tomber dans une pensée autant réductrice qu’intolérante. Ni dans les travers de l’« hyper-démocratie «, où chacun a de plus en plus de droits et de moins en moins de devoirs. Cette régression de la notion des devoirs de chacun vis-à-vis de la société, c’est à dire vis-à-vis des autres, aboutit inéluctablement à la ruine morale autant que financière.
Le wokisme, s’appliquant enfin au domaine économique, valorise avec des œillères « l’impact » et pense que l’utilité des entreprises ne se trouve plus que là. Oubliant, ou pire méprisant, celles qui font bien leur travail et sont efficaces, au bénéfice la société, sans surjouer sans cesse la RSE. Comme si cette dernière devait devenir leur seule raison d’être. Alors que, pour indispensable qu’elle soit, la RSE doit être pleinement intégrée à la vie et au développement des entreprises, non pas comme critère unique, mais de par le respect essentiel que les entreprises doivent à l’ensemble des parties prenantes.
Le trotskisme était la maladie infantile du socialisme, disaient les communistes. Le wokisme est probablement la maladie sénile de l’Occident.
Cette image de décadence, comme de haine de soi, et ces insultes récurrentes au bon sens, ne peuvent plus donner envie aux autres civilisations. Il ne faut donc pas nous étonner que le reste du monde, au mieux, ait moins envie de nous ressembler et pense que nous ne sommes décidément plus un modèle. Ou, au pire, qu’il estime que nous sommes un anti-modèle dont il faut accélérer la disparition. Et cela favorise le jeu des démocratures ou des pures et simples dictatures qui prétendent combattre cette dégénérescence des valeurs.
Enfin, dans nos propres sociétés, le wokisme fait émerger son exact contraire et pourtant, en de nombreux points, son double : le populisme. In fine, le populisme est, tout autant que le wokisme, anti-scientifique et anti-libéral, au sens plein, historique et philosophique du mot libéral. Les démocrates américains radicaux ont ainsi contribué efficacement à mettre Trump sur orbite.
Vivons-nous la fin d’une civilisation ou sa mutation vers une nouvelle rationalité qui a tant de mal à émerger ? Saurons-nous reconstruire à temps un idéal démocratique qui permette d’assurer une haute protection sociale, fondée et justifiée par le travail et une morale civique ? A l’opposé du véritable égoïsme que sous-tend la sur-représentation permanente des droits et la dévalorisation récurrente des devoirs ? Saurons-nous ainsi sortir de l’écueil fatal de la fuite en avant financière, par le toujours plus d’endettement que cela implique ? Et du sentiment d’inéquité et de découragement induit auprès de ceux qui portent encore le système par leur labeur et leur respect des règles ?
Ou bien laisserons nous la seule réaction à cette évolution qui mine nos sociétés aux forces populistes ? Celles dont les solutions tant politiquement qu’économiquement n’apporteraient que plus de pauvreté et moins de bien-être ?
Pessimistes soyons par la raison. Optimistes soyons par la volonté et l’action, dans la mesure de nos moyens.
Comme le disait Gramsci : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ».
Nous en sommes là, me semble-t-il.
Article publié le 18 mars 2024 dans le quotidien L’Opinion.