5,5 % du PIB en 2023 : le taux de déficit public français s’affiche à un niveau inattendu et comme l’un des plus élevés de l’Union européenne. Pourquoi est-ce un sérieux problème ? Quelles sont les possibilités de sortir d’une impasse dans laquelle le France s’enfonce depuis longtemps ?
Un déficit peut être souhaitable lorsque la politique budgétaire joue son rôle contracyclique lors de récessions, par exemple. Toutefois, si la croissance française et européenne s’est avérée faible en 2023, la récession crainte du fait de la remontée historique des taux d’intérêt ne s’est pas produite. Après les années de déficits publics très élevés (6,6 % en 2021 et 4,8 % en 2022), il était espéré que celui de l’année passée s’établirait à un niveau bien moindre et que sa décrue soit programmée et crédible pour les années suivantes. La France enchaîne sans discontinuer les déficits publics depuis 1974, or, empiriquement, il n’y a pas de corrélation positive à long terme entre les déficits publics et le taux de croissance.
Si le taux d’endettement public était faible, ou même moyen, quelques années de déficits publics à des niveaux élevés ne seraient pas dangereuses. Mais notre endettement public (système de protection sociale inclus) dépasse les 110 %. Notre déficit primaire (avant paiement des intérêts de la dette) s’approche de 4 % du produit intérieur brut (PIB). Notre croissance potentielle est faible et le taux d’intérêt réel long terme est devenu légèrement positif. Nous sommes sortis durablement de la période de taux bas. L’argent gratuit ayant disparu, le coût de l’endettement public est passé de 34 milliards d’euros en 2020 à plus de 50 milliards en 2023 et atteindra plus de 70 milliards en 2027. Il n’y a plus d’argent magique. Cette combinaison très défavorable pourrait ainsi nous amener à connaître un effet boule de neige de la dette publique, qui consiste à emprunter davantage encore pour payer les intérêts de la dette elle-même, dans une croissance sans fin et très déstabilisante de la dette publique. Le taux de la dette publique française s’élevait à 20 % du PIB en 1980, à 60 % en 2000 (idem en Allemagne) et 110,6 % en 2023 (contre environ 65 % en Allemagne). Enfin, si le taux d’endettement public a monté de 25 points de PIB environ pour l’ensemble de la zone euro depuis 2000, il a monté de 50 points pour la France, soit du double.
Il existe des possibilités de sortir de l’impasse, à l’abri certes de l’euro qui nous a protégés dès 2000, mais qui pourrait tôt ou tard ne plus suffire.
Pas de marge de manœuvre
L’annulation de la dette détenue par la banque centrale est non seulement hautement périlleuse, mais en outre inutile car les intérêts perdus par l’autorité monétaire le seraient à l’identique par l’État qui reçoit en recettes les résultats de l’institut d’émission.
La montée des impôts serait une solution si la France ne connaissait déjà un taux de prélèvement obligatoire (43,5 % du PIB en 2023) parmi les plus élevés dans le monde. Mais aujourd’hui, cela conduirait à ralentir la croissance et à détériorer tôt ou tard encore déficit et dette. Et dégrader encore davantage le taux d’emploi. Soit, retomber dans le cercle vicieux français. Cette recette ne peut fonctionner que lorsqu’il existe une marge de manœuvre. Ce n’est plus le cas pour la France.
Le taux d’imposition des revenus pour plus de la moitié des ménages est nul en France et les taux sont plus faibles que dans le reste de la zone euro pour les premières tranches du barème. Mais le taux marginal sur les revenus des ménages s’élève en France à 55,2 % contre 47,5 % en Allemagne ; il est également plus élevé en France qu’en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas ou en Belgique. Il ne semble donc guère faisable de provoquer encore davantage de distorsions en augmentant les barèmes des ménages les plus aisés. Le taux de taxation du capital, quant à lui, reste encore supérieur à la moyenne européenne. En outre, le niveau d’inégalité des revenus en France est l’un des plus bas européens.
Les entreprises, quant à elles, malgré les efforts des dernières années connaissent encore des prélèvements bien au-dessus de leurs concurrents européens : les impôts sur la production, par exemple, sont encore en 2022 supérieurs de 2,4 points de PIB par rapport à la moyenne de la zone euro et de 3,7 points par rapport à l’Allemagne.
En 2022, le taux de prélèvement obligatoire était de 6,1 points de PIB supérieur au taux moyen de la zone euro. Il est le plus élevé de l’Union européenne. L’arme budgétaire peut être d’une grande utilité, mais seulement si l’on est capable de la recharger régulièrement.
Baisser significativement le niveau des dépenses publiques par rapport au PIB est ainsi souhaitable lorsque l’on atteint ces sommets. Dans le cas de la France, il faudrait procéder notamment à une réingénierie de l’organisation territoriale comme de la gestion des services publics. Ce qui ne peut que prendre du temps et provoquer des mécontentements. Pourtant, la nécessité en est grande et la méthode du rabot très limitée en efficacité.
Cependant, il n’est pas raisonnable, avec une croissance bien faible, de procéder à une baisse rapide et indifférenciée des dépenses publiques car elle peut engendrer à court terme une récession qui aurait des effets négatifs sur les déficits eux- mêmes. Stabiliser leur niveau en volume et les réallouer est en revanche particulièrement souhaitable. Et en améliorer fortement leur efficacité. En associant les salariés des services publics (y compris ceux de la sécurité sociale au sens large) pour leur en montrer les bénéfices qu’ils pourraient eux-mêmes en tirer. En travaillant administration par administration et transversalement par thème, sereinement mais sans tergiverser ni procrastiner. Avec l’appui des outils numériques, entre autres, c’est possible sans dégâts humains. Le dire et le faire de façon crédible s’impose. La crédibilité est, en effet, clé pour la stabilisation financière.
Au moins trois leviers
Cela peut-il suffire ? Non. Deux leviers supplémentaires sont nécessaires, à jouer conjointement avec le précédent, et à annoncer publiquement, en affichant une détermination sans faille et une programmation claire. Il y va de la crédibilité indispensable des pouvoirs publics pour convaincre l’ensemble des parties prenantes.
Poursuivre les réformes structurelles qui permettent d’augmenter la croissance, soit accroître la quantité de personnes disponibles au travail et augmenter les gains de productivité. Le surplus de croissance engendrée permettrait de soulager le taux de déficit et l’endettement public par la hausse du dénominateur.
Mais face au retard français et européens en termes d’innovations technologiques et d’industries du futur, ces seules actions ne suffiraient à nouveau probablement pas.
Le développement de programmes du type de l’IRA américain, adossé à une politique industrielle bien pensée serait incontournable, mais illusoire avec l’endettement actuel. Il est également probablement illusoire de penser que l’Union européenne accepterait de lancer un second emprunt commun semblable à celui lancé pendant la pandémie.
Seule la concomitance de ces trois axes d’actions peut éviter une catastrophe prévisible. Il faut allier les investissements de croissance et de compétitivité dont le financement serait gagé sur une baisse récurrente des dépenses de fonctionnement par rapport au PIB, la plus grande efficacité des services publics (dans la santé, comme dans l’éducation par exemple, les dépenses publiques françaises sur PIB sont parmi les plus hautes en Europe, avec pourtant une forte dégradation ressentie comme mesurée) et l’amélioration de la croissance potentielle grâce aux réformes structurelles.
La dette publique, lorsqu’elle n’est plus soutenable, entraîne les pires conséquences économiques et sociales. Le désordre monétaire et financier dû à un endettement trop longtemps excessif et non soutenable peut induire brutalement des ruptures dans la confiance des citoyens, comme des marchés financiers internationaux (les investisseurs étrangers financent plus de 50 % de l’endettement public français). Et à défaut d’une rupture brutale, un endettement non maîtrisé peut conduire à un déclin inexorable, dont les conséquences économiques et sociales sont, in fine, tout aussi mauvaises, sinon brutales. Seul l’engagement d’une conduite claire et programmée des trois plans d’actions ici décrits, bref seule la présentation d’une trajectoire lisible et crédible, car solidement étayée, semble pouvoir éviter un tel risque.