« Augmenter les impôts provoquera la décroissance » : lamise en garde de l’économiste Olivier Klein

19.09.2024 5 min
Interview dans L’Express sur le sujet d’actualité de la rentrée 2024 , comment rétablir une soutenabilité de nos finances publiques ? Faut il augmenter les impôts ?

Le professeur à HEC Paris et directeur général de Lazard Frères Banque estime qu’un relèvement des prélèvements obligatoires, déjà parmi les plus élevés en Europe, produirait l’inverse de l’effet escompté.

Pendant sept longues années, cʼest une ligne rouge quʼEmmanuel Macron, ses Premiers ministres successifs et Bruno Le Maire, sʼétaient engagés à ne pas franchir. Mais à peine quelques jours après son arrivée à Matignon, Michel Barnier pourrait revenir sur cette promesse. Face à lʼurgence budgétaire, lʼancien commissaire européen envisagerait dʼappliquer des hausses dʼimpôts. Dans son viseur : les entreprises et les ménages les plus aisés. Une hypothèse qui a provoqué du remous au sein de sa propre famille politique, Les Républicains, et de lʼancienne majorité présidentielle.

« La situation budgétaire du pays que je découvre est très grave. Jʼai demandé tous les éléments pour en apprécier lʼexacte réalité. Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité », a déclamé Michel Barnier auprès de lʼAFP ce mercredi 18 septembre. Au point de prendre des décisions radicales et de rompre avec la politique de lʼoffre entreprise par le chef de lʼEtat depuis son arrivée au pouvoir ? Interrogé par LʼExpress, Olivier Klein, directeur général de Lazard Frères Banque et professeur dʼéconomie à HEC Paris, estime quʼune hausse des prélèvements obligatoires serait une erreur qui pèserait fortement
sur notre économie. Il plaide en revanche pour lʼactivation dʼautres leviers comme lʼinnovation et lʼinvestissement.

LʼExpress : Augmenter les prélèvements obligatoires serait-il, selon vous, une erreur ?

Olivier Klein : Le diagnostic est juste. Nous avons évidemment un déficit public et une dette publique trop élevés. Nous ne pouvons pas le nier et en prendre conscience est déjà très important pour pouvoir le traiter. La question est : comment le résoudre ? Nous avons à notre disposition plusieurs politiques : lʼaugmentation des prélèvements obligatoires, la baisse des dépenses publiques ou encore les réformes structurelles et lʼinvestissement dʼavenir pour augmenter le potentiel de croissance. On pourrait croire assez simplement que lʼon va faire une dose de chaque mesure afin de diminuer le déficit public, et que ce serait bon pour la
justice sociale. Or, cʼest ce que je mets en doute.

Pourquoi ?

En France, nous avons en ce moment un problème dʼoffre et non de demande, comme vient de le souligner le rapport Draghi pour lʼensemble de lʼEurope. Cela nʼa pourtant pas toujours été le cas et cela dépend des périodes. En France, en particulier, nous avons un déficit de compétitivité fort car la gamme des produits que nous fabriquons ne correspond pas aux prix auxquels ils sont vendus. Il y a deux manières de sʼajuster. Soit nous baissons les salaires et les prix, avec la même qualité. Mais nous touchons alors aux niveaux de vie, ce nʼest pas vraiment une solution à privilégier.

Soit nous faisons des réformes structurelles et des investissements dʼavenir pour favoriser lʼinnovation et améliorer la gamme de ce que nous produisons. Pour cela, il faut pouvoir faire en sorte que les entreprises aient suffisamment de bénéfices. Or, les taux de prélèvements obligatoires en France sont déjà parmi les plus élevés de la zone euro. Remonter les impôts des entreprises alors quʼelles doivent, au contraire, investir et améliorer lʼoffre, produirait lʼinverse des effets recherchés.

Quʼen est-il des ménages ?


Si les entreprises sont moins compétitives, le taux dʼemploi va inévitablement diminuer, alors quʼil avait réussi à remonter depuis sept ans grâce à la politique de lʼoffre mise en place par le gouvernement. Nous abîmerons alors le pouvoir dʼachat et lʼégalité des chances. A lʼarrivée, ce sont les finances publiques qui se retrouveront encore détériorées. Il y aura moins de production nationale, moins de résultats pour les entreprises et donc moins de revenus distribués. Nous allons entrer à nouveau dans le cercle vicieux dans lequel nous sommes depuis des dizaines dʼannées. Nous nous donnerons lʼillusion à court terme dʼavoir réduit le déficit public, tout en le détériorant deux ans plus tard.

Que vous inspire lʼexpression de « justice fiscale » employée par Michel Barnier ?

Avant de dire cela, il faut bien regarder les chiffres. Nous avons le taux de redistribution le plus fort parmi les pays de lʼOCDE. Il nʼy a pas de problème de justice fiscale. Il ne faut surtout pas accentuer le cercle vicieux. Travaillons plutôt sur lʼégalité des chances qui nʼest pas suffisante en France.
Ce nʼest pas le moment de baisser les impôts, ni de les monter encore parce que cela empirerait la situation dans laquelle nous sommes, à savoir un déficit commercial très fort et des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés de la zone euro. Il faut avoir une vue dynamique de lʼéconomie. Ce nʼest pas un jeu à somme nulle. Attention à ne pas faire dʼerreur de diagnostic.

Une hausse temporaire des impôts, comme le préconise le gouverneur de la Banque de France, serait-il un bon compromis ?

Ce nʼest pas une décision économique, mais purement politique. A chaque fois que nous avons décrété que les impôts seraient temporaires, ils ont été maintenus. Très peu de gens croiront donc cela parce quʼils lʼont déjà vécu. Les Français se diront quʼil y a moins de pouvoir dʼachat et vont ainsi moins dépenser. Quant aux entreprises, elles investiront moins pour les mêmes raisons. Il ne faut pas que ça soit un prétexte pour ne pas agir sur les dépenses, qui est, je le reconnais, un exercice très compliqué.

Comment lʼexpliquer ?

Il faut savoir expliquer pourquoi, comment on le fait et accompagner les gens pour montrer quʼils ne sont pas forcément perdants. Cela met obligatoirement du temps. De plus, si on allait trop vite, cela jouerait négativement sur lʼéconomie. Quand certains économistes nous disent que le choix dʼaugmenter les impôts ou de baisser les dépenses relève dʼun choix politique, je pense quʼils reflètent insuffisamment la réalité économique. Dans la situation dans laquelle nous sommes en France, les conséquences pourraient se révéler divergentes. Baisser les dépenses régulièrement de façon engagée et pas de manière brutale aurait des vertus de croissance. Monter encore les impôts aura un effet de décroissance. Lʼeffet final sur lʼéconomie et les finances publiques sera donc très différent.

Le débat actuel autour des hausses dʼimpôts ne démontre-t-il pas, en réalité, notre incapacité à réduire durablement nos dépenses publiques ?

Jusquʼà présent, nous nʼavons pas abordé le problème de façon très solide et très sérieuse. Nous avons un taux de dépenses dʼéducation publique par rapport au PIB qui est plus élevé que la moyenne européenne. Or, nous voyons dans les études, comme le classement Pisa, que nous sommes en retard. De plus, les professeurs sont moins bien payés quʼen Allemagne, par exemple. Cʼest aussi le cas dans la santé, et idem pour le salaire des infirmières. Lʼorganisation doit être repensée et nous devons améliorer lʼefficacité de nos dépenses publiques. Il nʼy a que cela qui sera durable.