C’est dans le développement du taux d’emploi, l’incitation au travail, la revalorisation de la valeur travail, la mobilité sociale, l’encouragement à l’entrepreneuriat, l’éducation (facteur décisif), l’innovation et la croissance qu’il faut trouver les solutions… Et non par des impôts supplémentaires sur les revenus du travail ou de l’épargne, pas plus que sur les entreprises
Corriger la mauvaise trajectoire de nos finances publiques est une nécessité devenue une priorité urgente. Pour éviter une crise de la dette publique, assurer l’indépendance de la France et retrouver une crédibilité, donc une réelle capacité d’influence au sein de l’Union Européenne. A cette fin, il est théoriquement envisageable d’augmenter les impôts et cotisations sociales, de baisser les dépenses publiques et de renforcer la croissance par des réformes structurelles et des investissements d’avenir.
Cependant, chacune de ces mesures, dans la situation spécifique de la France, ne produira le même effet et n’aura la même efficacité. Concentrons-nous ici sur l’augmentation des impôts, qui pourrait sembler, en première analyse, tout à la fois diminuer le déficit public et améliorer la justice sociale. La réalité est tout autre. Augmenter les impôts en France pourrait aggraver le cercle vicieux existant entre une redistribution très forte – en soi et comparativement aux pays semblables – et une inégalité des revenus avant redistribution relativement élevée. En dégradant encore le manque de compétitivité et l’insuffisance de notre offre et en réduisant ainsi la croissance et en abîmant in fine le niveau de vie de tous et la base imposable elle-même.
Manque de compétitivité. Voilà bien longtemps que le taux de prélèvements obligatoires connaît une tendance haussière en France pour atteindre plus de 43 % du PIB en 2023, soit l’un des plus élevés de l’Union européenne avec environ 6 points de plus que la moyenne de la zone euro. Avec des dépenses publiques en partie inefficaces (exemples : la situation des hôpitaux, de l’enseignement, la redondance des frais de fonctionnement administratif, etc.) et largement plus élevées elles aussi que la moyenne européenne – d’environ 8 à 10 points de PIB –, et ce pour un résultat moindre. Cet état de fait contribue au manque de compétitivité de notre offre, qui est bien actuellement le cœur du sujet.
De plus, après redistribution, les inégalités de revenus en France, mesurées par le rapport entre le revenu des 10% les plus aisés et celui des 10% les moins aisés ou encore par le taux de pauvreté relative, n’ont pas ou peu évolué depuis plus de 20 ans. Et sont parmi les plus faibles en Europe. L’indice Gini des inégalités post-redistribution quant à lui s’établit à 0,298, alors que l’Allemagne atteint 0,303 et que l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni connaissent des niveaux compris entre 0,320 et 0,354. Ajoutons encore que la part du revenu national après redistribution détenue par les 1 % les plus riches en France est également l’une des plus faibles à 7,17 %, contre 8,72 % en Suède, 10,32 % en Italie ou 14,35 % aux Etats-Unis. La France connaît de fait l’un des niveaux de redistribution les plus élevés de l’OCDE. Au total, en France, la redistribution réduit le rapport entre les revenus avant redistribution des 10% les plus aisés et ceux des 10% les moins aisés d’environ 20 à 9. Et ce rapport passe à 3 en y ajoutant l’effet des services publics, en comparant pour chacun le coût payé versus l’équivalent monétaire de ce qui est reçu en les utilisant. Les plus aisés payant davantage, de par la forte progressivité des impôts. Ainsi, 85% des personnes parmi les 30% les plus modestes reçoivent plus en termes de services publics qu’ils ne paient, contre 57% pour l’ensemble des personnes en France (étude de l’INSEE de 2023 sur la redistribution élargie).
Le taux marginal d’imposition des revenus des ménages s’élève à 55,2 %, contre 47,5 % en Allemagne. Il est plus élevé qu’en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas ou en Belgique, par exemple. Et le taux de taxation des revenus du capital reste encore supérieur à la moyenne européenne malgré les baisses récentes fort utiles à l’économie française, ce qui a été bien documenté.
Ignorer cela dans la construction des programmes économiques est évidemment source de propositions inadéquates et dangereuses pour l’économie et in fine pour les moins aisés.
Inégalité des chances. La vraie justice sociale, eu égard à la réalité française, est de s’attaquer à l’inégalité des chances qui, elle, est comparativement assez élevée par rapport à la moyenne européenne. Et c’est dans le développement du taux d’emploi, l’incitation au travail, la revalorisation de la valeur travail, la mobilité sociale, l’encouragement à l’entrepreneuriat, l’éducation (facteur décisif), l’innovation et la croissance qu’il faut trouver les solutions … Et non par des impôts supplémentaires sur les revenus du travail ou de l’épargne, pas plus que sur les entreprises. Augmenter encore et toujours la redistribution, au niveau particulièrement élevé où nous sommes, c’est aggraver le mal, en induisant moins de compétitivité, donc moins de production et moins de croissance. Le risque est très fort au total de provoquer plus d’inégalité de revenus avant redistribution et plus d’inégalité des chances. Et de ne pas améliorer la soutenabilité de nos finances publiques, voire de la détériorer encore. L’histoire française des dernières décennies témoigne de cette boucle non vertueuse. L’économie, de même que les revenus, est en fait une dynamique, pas un jeu à somme nulle. Les études sérieuses sur longue période le montrent sans ambiguïté.
Restent donc l’action sur la baisse progressive des dépenses publiques (bien choisies et bien conduites) par rapport au PIB, ainsi que les réformes structurelles et les investissements d’avenir pour augmenter la compétitivité de notre offre et notre potentiel de croissance, et du même coup favoriser la justice sociale et rétablir la soutenabilité de nos finances publiques. Et ainsi protéger durablement le bien précieux que sont le niveau des revenus et la protection sociale en France.
Ne confondons pas les effets et les causes.
Olivier Klein est directeur général de Lazard Frères Banque et associé gérant. Il est également professeur de macroéconomie financière et de politique monétaire à HEC