Lorsque le taux d’intérêt est égal au taux de croissance, comme aujourd’hui, stabiliser le taux d’endettement nécessite un déficit public primaire (avant charges d’intérêts dues à la dette) égal à zéro. Et il faut un excédent primaire pour réduire ce taux d’endettement. Sinon la dette publique ne cesse d’augmenter et, plus le taux d’endettement public est élevé, plus le risque d’effet boule de neige de la dette augmente singulièrement. L’inquiétude sur la trajectoire d’endettement public peut en effet pousser vers le haut les « spreads », soit la prime de risque supportée par la dette, donc dégrader encore davantage la trajectoire, entrant ainsi dans un cercle vicieux.
La France est loin de bénéficier d’une situation d’endettement stabilisée. Avec un taux de dette publique sur PIB très élevé de plus de 110% et une évolution de ce taux à la hausse très marquée (le taux était d’environ 20% en 1980), la France connaît un déficit primaire entre 3 et 4% du PIB, avec un taux d’intérêt sur la dette approximativement égal au taux de croissance nominale. Ce qui, sans correction, conduira tôt ou tard à une crise de refinancement. Si le taux d’intérêt de la dette venait en outre à être supérieur au taux de croissance nominal, de par une montée des taux d’intérêt généralisée ou du spread payé par la France ou de par une baisse du taux de croissance de l’économie française, l’effet boule de neige de la dette publique prendrait encore bien plus d’ampleur.
Il faudrait ainsi réduire d’environ 100 milliards d’euros les dépenses publiques. Le faire trop vite conduirait à un ralentissement trop fort de la croissance et à une acceptabilité difficile. Le faire trop lentement conduirait à un nouvel accroissement dangereux de la dette publique, qui mettrait en risque la solvabilité du pays, ralentirait très probablement également la croissance par la crainte des épargnants et des investisseurs ainsi engendrée, enfin risquerait une crise financière qui contraindrait à réaliser les ajustements dans l’urgence et brutalement comme dans le cas de l’Espagne et du Portugal, par exemple, lors de la crise de la zone euro.
Ajoutons qu’eu égard au niveau comparativement très élevés des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires français sur PIB, il est beaucoup plus efficace économiquement de réduire les premières et de ne pas augmenter les seconds. La réduction des dépenses publiques contient en effet bien moins de risque de ralentissement économique, voire même pourrait favoriser la croissance, qu’une augmentation des impôts. Aussi, s’il semble élégant de dire que le choix entre réduction des dépenses et augmentation des impôts est un choix politique, ce n’est probablement pas pertinent en termes d’efficacité économique dans la situation spécifique de la France.
D’ailleurs, les inégalités de revenus après redistribution sont en France parmi les plus faibles d’Europe et le niveau de redistribution sur PIB déjà l’un des plus élevés. La réduction des inégalités de revenus en France n’est donc pas un objectif raisonnable, car il irait exactement en sens inverse du but poursuivi en abaissant encore une compétitivité déjà trop faible et une incitation au travail très améliorable, donc un taux d’emploi déjà insuffisant. Ce qui irait exactement à l’encontre des objectifs annoncés.
Au total, la stabilisation, puis la réduction, du taux d’endettement public français est une condition sine qua non à la soutenabilité de notre protection sociale et de notre niveau de vie. Risquer de tomber sur le mur de la dette en refusant les réformes structurelles ou en revenant sur celles qui ont été réalisées serait risquer de nous mettre nous-mêmes dans l’obligation d’instaurer des politiques d’austérité très coûteuses socialement. Les mesures structurelles prises à temps sont en réalité l’antidote aux politiques d’austérité qui deviendraient inéluctables sinon.
Rappelons pour terminer que si les États Unis, qui ont un taux d’endettement public très élevé et un fort déficit primaire, ne connaissent pas la même ardente obligation à ce jour, c’est qu’ils bénéficient jusqu’alors d’une dynamique économique bien plus élevée que la nôtre, d’un rendement du marché des actions et des taux d’intérêt plus élevés que les nôtres, ce qui attire les capitaux du monde entier. Enfin, ils ont la monnaie, le dollar, qui sert de monnaie internationale et les marchés de capitaux de loin les plus importants et profonds. Ainsi, n’ont-ils, jusqu’à présent, aucun mal à refinancer leur dette extérieure aussi bien que leur dette publique. Situation très différente donc de la française. Ce qui ne les exonérera pas pourtant ad vitam aeternam de devoir eux aussi corriger leur trajectoire de finances publiques.