Désordre des finances publiques et méfiance sociétale

31.12.2024 4 min
La France doit vite réagir face à la dégradation de la situation budgétaire et de la dette publique, tant la perte de contrôle des dépenses publiques et le développement de la sur-administration, avec une montée parallèle des prélèvements obligatoires,  alimentent un dangereux sentiment d’impuissance individuelle et collective.

Article publié par Les Échos le 30 décembre 2024 .

Nous devons être très attentifs à l’état du pays après des décennies de dégradation des finances publiques. La dette publique sur PIB s’élevait à 20 % en 1980. Elle s’élève à 114% aujourd’hui et la dynamique en est toujours haussière. Dans l’état de la société française, de son très/trop-plein de prélèvements obligatoires, de dépenses publiques mal contrôlées, d’un surendettement manifeste de la sphère publique (Etat, collectivités locales et Sécurité sociale) et d’une dégradation ressentie par tous de son efficacité, toute politique budgétaire est devenue très sensible.

Il faut ainsi éviter soigneusement d’augmenter encore le taux d’imposition et de cotisations, de même qu’il est impératif de mieux maîtriser le taux de dépenses publiques. Sinon, outre les effets très négatifs sur l’économie elle-même, donc sur les emplois et le bien-être, les compromis sociaux et institutionnels-déjà aujourd’hui bien fragilisés-pourraient en être profondément altérés.  Ces compromis, entre marché et justice redistributive par exemple, conduisent au consentement à l’impôt, qui permet à son tour de vivre ensemble et de faire société. « Les comptes publics en désordre sont le signe des nations qui s’abandonnent », disait déjà Pierre Mendès France.

55 % des ménages ne paient pas d’impôts

Or les bases de ce consentement sont d’ores et déjà affaiblies. 55 % des ménages ne paient pas d’impôts sur le revenu. Et 10 % en paient environ 75 %. Les premières tranches du barème sont les plus faibles de la zone euro. Les 1 % les plus aisés en France perçoivent déjà un pourcentage moindre des revenus totaux que dans nombre d’autres pays, soit 7,17 %. Alors qu’en Suède même il s’agit de 8,72 %, en Italie de 10,32 % et aux Etats-Unis de 14, 35 %, par exemple. Enfin, toujours post-redistribution, l’indice des écarts de revenus (Gini) est en France l’un des plus faibles en Europe. 

Augmenter davantage le taux de redistribution, l’un des plus forts de l’OCDE, conduirait à abaisser encore l’attractivité du travail et à renouer avec la fuite des talents, actuels comme futurs, au détriment de tous. Mais aussi à affaiblir de façon encore plus problématique le consentement à l’impôt, partie intégrante de la cohésion sociale. Et le question du consentement à l’impôt ne touche pas que les plus aisés, mais aussi tous ceux qui ressentent une dégradation de la qualité de nombre de services publics. Or les services publics sont, en France, l’un des ciments nationaux.

Un pays suradministré

De plus, au-delà d’un certain seuil, non facilement objectivable ex ante, le niveau de dépenses publiques de fonctionnement comme le niveau de réglementation conduisent à un surdéveloppement administratif qui ankylose et réduit l’initiative et l’innovation (Draghi le dénonce à bon escient pour l’Union européenne), freinant ainsi la dynamique de l’économie. Cette suradministration crée en outre et surtout, d’un point de vue sociétal, un sentiment d’impuissance individuel et collectif, qui renforce la remise en cause du contrat social.

Complémentairement, l’entropie de l’administration (qui se transforme insuffisamment et très inégalement) gagne ainsi du terrain, engendrant un manque d’efficacité et, de ce fait, une crise de confiance et de légitimité contagieuse.

Les niveaux très élevés des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires couplés à la suradministration induisent l’omniprésence de l’Etat dans la vie économique comme dans la vie quotidienne, ce qui finit par désintermédier dangereusement d’une part les organisations dites intermédiaires précisément, bien utiles pourtant à la régulation de la société par elle-même, et d’autre part les relations directes de chacun avec les autres, de chacun avec la société donc. 

Le tout provoquant une forte diminution du sens des responsabilités de tous face à tous les autres. Comme un affaiblissement de la capacité individuelle ou de groupes d’individus à prendre, autant que possible,  soi-même en charge les problèmes rencontrés. Chacun tendant à penser que l’Etat doit régler toutes les difficultés et assumer tous les risques. De même, s’en trouve largement accru le sentiment que ses propres droits doivent être accrus sans fin, et ses devoirs, vis-à-vis de la société donc des autres, limités. La conséquence en est une demande d’Etat sans cesse plus forte. Et de plus en plus déçue. Avec son corollaire, la dépendance et la frustration. Et une défiance grandissante envers les institutions et les politiques. Confiance déjà fortement érodée avec la perte de contrôle des finances publiques.

Crise de confiance

In fine, la crise de confiance se répand ainsi entre les individus eux-mêmes. Défiance conduisant chacun à s’interroger : qui profite trop et indûment des prestations sociales ? Des services publics ? Qui ne paie pas assez d’impôts ? Ou symétriquement, n’en paie-t-on pas trop et de façon inéquitable ? Cette perte de confiance, appuyée sur le sentiment d’impuissance énoncé plus haut, induit une fragmentation de la société, une polarisation destructrice et le développement du populisme.

Si l’on n’y prend pas garde vigoureusement en repositionnant l’Etat essentiellement dans son rôle indispensable de stratège, et en conduisant – avec l’ingénierie sociale nécessaire – la transformation et l’amélioration de l’efficacité des administrations publiques, comme en retrouvant la maîtrise de ses coûts, cette situation pourrait conduire peu à peu mais inexorablement au délitement de la société et à la violence.

Olivier Klein est directeur général de Lazard Frères Banque et professeur d'économie à HEC.