L’urgence du sursaut européen

24.02.2025 3 min
Si elle veut survivre dans un monde plus brutal, l'Europe doit cesser de se penser comme le camp du bien. Et redevenir le marché qui parvient le plus harmonieusement possible à combiner les principes d'équité et d'efficacité.

Les Échos , le 18 février 2025 

Nous sommes à un véritable tournant de l’histoire de l’Europe. Dans ce changement de monde, qui part du multilatéralisme pour arriver aujourd’hui au retour pur et simple des rapports de force entre puissances, de deux choses l’une : soit le Vieux Continent se ressaisit économiquement, politiquement, diplomatiquement et militairement, soit il poursuit son déclin à moitié endormi et sort progressivement de l’Histoire. Mais se ressaisir ne sera pas facile. Si l’Europe a aujourd’hui les mains pures, elle tend à n’avoir pas de mains du tout.

Faisons cesser dans notre continent vieillissant notre incapacité à l’audace et à l’innovation, due à la volonté de toujours réglementer et normer avant que d’inventer, créer et développer. Obliger, en outre, le reste du monde par nos normes est naïf ; nous n’avons ni la puissance économique, ni la puissance diplomatique, pour les imposer.

Cessons de nous penser comme le camp du bien, en développant à tout propos pour nous-même des réglementations pointilleuses où la lettre finit par l’emporter sur l’esprit. Elles finissent par handicaper nos entreprises, avec une bureaucratie sans fin. Non pas que les buts n’en soient pas louables, mais les codifications paperassières innombrables abîment inutilement notre compétitivité.

Double naïveté écologique et énergétique

Sortons de notre naïveté à vouloir être toujours davantage les premiers de la classe mondiale quant au climat, lorsque cela se fait au détriment de nos industries et en faveur de facto du populisme qui affiche un fort climatoscepticisme. Cherchons plutôt à combiner au mieux santé de la planète et croissance, en investissant massivement dans les industries du futur – où nous sommes peu présents -, y compris dans les industries de la transition climatique – où nous sommes si faibles.

Sortons aussi de notre naïveté quant à l’énergie, où nous connaissions l’asservissement hier à la Russie, et demain aux Etats-Unis. C’est une condition première à notre compétitivité mondiale. Alors qu’aujourd’hui nous payons en moyenne le prix du gaz naturel environ quatre fois plus cher que les Américains.

« Il faut aussi une capacité européenne à faciliter le développement de nos entreprises récemment nées pour en faire des géants mondiaux. »

Pensons que le marché financier unique serait hautement souhaitable, mais qu’il ne produirait pas à lui seul l’effet attendu. L’excédent d’épargne européenne ira spontanément financer davantage d’investissements en Europe seulement si nous établissons un cadre explicite de solidarité financière au sein de la zone euro. Pour cela, il faut que les finances publiques de la France, entre autres pays, soient enfin crédibles. « Risk sharing » contre « market discipline », n’est-ce pas ? Il faut aussi une capacité européenne à faciliter le développement de nos entreprises récemment nées pour en faire des géants mondiaux. Et ainsi procurer des rendements attractifs. Les multiples barrières non-financières pour ce faire sont handicapantes.

Un juste équilibre à retrouver

L’Europe ne sait plus combiner avec justesse le principe de l’éthique et celui d’efficacité. L’éthique seule, érigée en finalité absolue, au détriment de l’efficacité, n’est qu’une illusion que l’on se donne, de courte durée. L’inverse est aussi vrai. Mais aujourd’hui l’éthique formelle multiforme, quasi-dogmatique, a idéologiquement trop pris le pas sur son indispensable double et l’entrave abusivement. C’est le juste équilibre entre réglementation et libre jeu du marché que nous devons viser. Celui qui permet la dynamique de l’économie tout en recherchant la protection nécessaire contre ses dérives potentielles.

L’Europe a été, et peut redevenir, ce lieu sur Terre qui combine le mieux ces deux principes. Ce qui a fait la force de notre modèle d’économie sociale de marché. C’est aux forces démocratiques pro-européennes de retrouver avec vigueur la vitalité et l’équilibre nécessaires. Avant que d’autres nous imposent un changement brutal de paradigme. C’est uniquement grâce à cette vitalité renouvelée que l’Europe pourra continuer à tracer sa voie et maîtriser son destin. Il y a urgence.

Olivier Klein est président de la Ligue européenne de coopération économique (section française) et professeur d’économie à HEC.