La dette publique a crû de façon inquiétante tant dans les pays avancés que dans les pays émergents. Sa montée a été facilitée par la politique d’assouplissement quantitatif (avec des taux d’intérêt inférieurs aux taux de croissance et l’achat d’obligations publiques) des banques centrales, qui détiennent en zone euro environ 30 % de son encours actuel et ont financé plus de 60 % de son accroissement depuis 2008. Or, aujourd’hui, les taux d’intérêt ont fortement crû, eu égard au retour de l’inflation mais aussi à une certaine normalisation de la politique monétaire. En France, les intérêts de la dette publique s’élèveront à plus de 50 milliards d’euros en 2023, à plus de 70 milliards en 2027.
La sortie « par le haut » d’un tel niveau d’endettement public est nécessairement très étroite, sachant qu’en France le niveau d’imposition sur PIB est déjà sur le podium des pays de l’OCDE. Il s’agit donc d’améliorer structurellement le taux de croissance par des réformes permettant d’accroître tant les gains de productivité que la population disponible au travail. Et de réallouer les dépenses publiques – pas exclusivement celles de l’Etat – le plus efficacement possible, tout en engendrant, sans politique d’austérité, un excédent primaire (avant paiement des intérêts de la dette) du budget.
Certains, notamment en France, poussent l’idée bien plus attrayante, car apparemment facile et sans effort, d’une annulation totale ou partielle de la dette publique détenue par les banques centrales. Censée alléger considérablement la contrainte de solvabilité des acteurs publics, cette annulation est en réalité interdite par les traités en zone euro, et surtout inefficace et dangereuse pour la stabilité financière.
Une mesure vaine
Attachons-nous à son inutilité réelle, pas toujours bien comprise. Les comptes des banques centrales, le plus souvent filiales des Etats, doivent être analysés une fois consolidés avec ceux des Etats.
D’ailleurs, leurs résultats sont versés sous forme de dividendes et sont ainsi directement contributifs au budget. Si les banques centrales acceptaient d’annuler les obligations émises par l’Etat qui est leur actionnaire, cet Etat devrait recapitaliser la banque concernée, en émettant pour cela le même montant de dette publique. S’il ne le faisait pas, il abaisserait apparemment le ratio dette publique sur PIB et aurait à consolider avec ses propres déficits ou excédents la perte ou le manque à gagner récurrent ainsi imposé à la banque centrale. Et si les banques centrales acceptaient de n’être rémunérées qu’à un taux d’intérêt égal à zéro sur les dettes publiques qu’elles détiennent, le budget des Etats connaîtrait un manque à gagner exactement du même montant. Bref, du point de vue budgétaire, c’est un jeu à somme nulle. Procéder à de telles annulations, pour séduisant que cela paraisse, serait ainsi en réalité parfaitement vain.
Attention à la déstabilisation
Vain, mais pas sans danger ! L’annonce d’une telle décision serait très déstabilisante et la capacité ultérieure de l’Etat à financer sa dette pourrait être gravement compromise, ou chèrement payée en termes de prime de risque. D’autant qu’une telle opération reviendrait à mettre la politique monétaire totalement sous domination des pouvoirs publics. Et à la rendre inopérante dans sa maîtrise des agrégats monétaires comme dans sa lutte contre l’inflation. Avec des conséquences évidentes sur le désancrage des anticipations et sur le risque destructeur d’hyperinflation.
Enfin, et pour conclure par un raisonnement par l’absurde, si une telle possibilité existait, sans risque et sans douleur, pourquoi n’a-t-on pas laissé depuis longtemps les Etats développer des déficits ad libitum, sans limites de dépenses ? Malheureusement, il n’y a pas d’argent magique.