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Peut-on stabiliser le taux d’endettement public français ?

Lorsque le taux d’intérêt est égal au taux de croissance, comme aujourd’hui, stabiliser le taux d’endettement nécessite un déficit public primaire (avant charges d’intérêts dues à la dette) égal à zéro. Et il faut un excédent primaire pour réduire ce taux d’endettement. Sinon la dette publique ne cesse d’augmenter et, plus le taux d’endettement public est élevé, plus le risque d’effet boule de neige de la dette augmente singulièrement. L’inquiétude sur la trajectoire d’endettement public peut en effet pousser vers le haut les « spreads », soit la prime de risque supportée par la dette, donc dégrader encore davantage la trajectoire, entrant ainsi dans un cercle vicieux. 

La France est loin de bénéficier d’une situation d’endettement stabilisée. Avec un taux de dette publique sur PIB très élevé de plus de 110% et une évolution de ce taux à la hausse très marquée (le taux était d’environ 20% en 1980), la France connaît un déficit primaire entre 3 et 4% du PIB, avec un taux d’intérêt sur la dette approximativement égal au taux de croissance nominale. Ce qui, sans correction, conduira tôt ou tard à une crise de refinancement. Si le taux d’intérêt de la dette venait en outre à être supérieur au taux de croissance nominal, de par une montée des taux d’intérêt généralisée ou du spread payé par la France ou de par une baisse du taux de croissance de l’économie française, l’effet boule de neige de la dette publique prendrait encore bien plus d’ampleur. 

Il faudrait ainsi réduire d’environ 100 milliards d’euros les dépenses publiques. Le faire trop vite conduirait à un ralentissement trop fort de la croissance et à une acceptabilité difficile. Le faire trop lentement conduirait à un nouvel accroissement dangereux de la dette publique, qui mettrait en risque la solvabilité du pays, ralentirait très probablement également la croissance par la crainte des épargnants et des investisseurs ainsi engendrée, enfin risquerait une crise financière qui contraindrait à réaliser les ajustements dans l’urgence et brutalement comme dans le cas de l’Espagne et du Portugal, par exemple, lors de la crise de la zone euro.

Ajoutons qu’eu égard au niveau comparativement très élevés des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires français sur PIB, il est beaucoup plus efficace économiquement de réduire les premières et de ne pas augmenter les seconds. La réduction des dépenses publiques contient en effet bien moins de risque de ralentissement économique, voire même pourrait favoriser la croissance, qu’une augmentation des impôts. Aussi, s’il semble élégant de dire que le choix entre réduction des dépenses et augmentation des impôts est un choix politique, ce n’est probablement pas pertinent en termes d’efficacité économique dans la situation spécifique de la France.

D’ailleurs, les inégalités de revenus après redistribution sont en France parmi les plus faibles d’Europe et le niveau de redistribution sur PIB déjà l’un des plus élevés. La réduction des inégalités de revenus en France n’est donc pas un objectif raisonnable, car il irait exactement en sens inverse du but poursuivi en abaissant encore une compétitivité déjà trop faible et une incitation au travail très améliorable, donc un taux d’emploi déjà insuffisant. Ce qui irait exactement à l’encontre des objectifs annoncés. 

Au total, la stabilisation, puis la réduction, du taux d’endettement public français est une condition sine qua non à la soutenabilité de notre protection sociale et de notre niveau de vie. Risquer de tomber sur le mur de la dette en refusant les réformes structurelles ou en revenant sur celles qui ont été réalisées serait risquer de nous mettre nous-mêmes dans l’obligation d’instaurer des politiques d’austérité très coûteuses socialement. Les mesures structurelles prises à temps sont en réalité l’antidote aux politiques d’austérité qui deviendraient inéluctables sinon. 

​​Rappelons pour terminer que si les États Unis, qui ont un taux d’endettement public très élevé et un fort déficit primaire, ne connaissent pas la même ardente obligation à ce jour, c’est qu’ils bénéficient jusqu’alors d’une dynamique économique bien plus élevée que la nôtre, d’un rendement du marché des actions et des taux d’intérêt plus élevés que les nôtres, ce qui attire les capitaux du monde entier. Enfin, ils ont la monnaie, le dollar, qui sert de monnaie internationale et les marchés de capitaux de loin les plus importants et profonds. Ainsi, n’ont-ils, jusqu’à présent, aucun mal à refinancer leur dette extérieure aussi bien que leur dette publique. Situation très différente donc de la française. Ce qui ne les exonérera pas pourtant ad vitam aeternam de devoir eux aussi corriger leur trajectoire de finances publiques.

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Conjoncture Economie Générale Politique Economique

« Augmenter les impôts provoquera la décroissance » : lamise en garde de l’économiste Olivier Klein

Le professeur à HEC Paris et directeur général de Lazard Frères Banque estime qu’un relèvement des prélèvements obligatoires, déjà parmi les plus élevés en Europe, produirait l’inverse de l’effet escompté.

Pendant sept longues années, cʼest une ligne rouge quʼEmmanuel Macron, ses Premiers ministres successifs et Bruno Le Maire, sʼétaient engagés à ne pas franchir. Mais à peine quelques jours après son arrivée à Matignon, Michel Barnier pourrait revenir sur cette promesse. Face à lʼurgence budgétaire, lʼancien commissaire européen envisagerait dʼappliquer des hausses dʼimpôts. Dans son viseur : les entreprises et les ménages les plus aisés. Une hypothèse qui a provoqué du remous au sein de sa propre famille politique, Les Républicains, et de lʼancienne majorité présidentielle.

« La situation budgétaire du pays que je découvre est très grave. Jʼai demandé tous les éléments pour en apprécier lʼexacte réalité. Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité », a déclamé Michel Barnier auprès de lʼAFP ce mercredi 18 septembre. Au point de prendre des décisions radicales et de rompre avec la politique de lʼoffre entreprise par le chef de lʼEtat depuis son arrivée au pouvoir ? Interrogé par LʼExpress, Olivier Klein, directeur général de Lazard Frères Banque et professeur dʼéconomie à HEC Paris, estime quʼune hausse des prélèvements obligatoires serait une erreur qui pèserait fortement
sur notre économie. Il plaide en revanche pour lʼactivation dʼautres leviers comme lʼinnovation et lʼinvestissement.

LʼExpress : Augmenter les prélèvements obligatoires serait-il, selon vous, une erreur ?

Olivier Klein : Le diagnostic est juste. Nous avons évidemment un déficit public et une dette publique trop élevés. Nous ne pouvons pas le nier et en prendre conscience est déjà très important pour pouvoir le traiter. La question est : comment le résoudre ? Nous avons à notre disposition plusieurs politiques : lʼaugmentation des prélèvements obligatoires, la baisse des dépenses publiques ou encore les réformes structurelles et lʼinvestissement dʼavenir pour augmenter le potentiel de croissance. On pourrait croire assez simplement que lʼon va faire une dose de chaque mesure afin de diminuer le déficit public, et que ce serait bon pour la
justice sociale. Or, cʼest ce que je mets en doute.

Pourquoi ?

En France, nous avons en ce moment un problème dʼoffre et non de demande, comme vient de le souligner le rapport Draghi pour lʼensemble de lʼEurope. Cela nʼa pourtant pas toujours été le cas et cela dépend des périodes. En France, en particulier, nous avons un déficit de compétitivité fort car la gamme des produits que nous fabriquons ne correspond pas aux prix auxquels ils sont vendus. Il y a deux manières de sʼajuster. Soit nous baissons les salaires et les prix, avec la même qualité. Mais nous touchons alors aux niveaux de vie, ce nʼest pas vraiment une solution à privilégier.

Soit nous faisons des réformes structurelles et des investissements dʼavenir pour favoriser lʼinnovation et améliorer la gamme de ce que nous produisons. Pour cela, il faut pouvoir faire en sorte que les entreprises aient suffisamment de bénéfices. Or, les taux de prélèvements obligatoires en France sont déjà parmi les plus élevés de la zone euro. Remonter les impôts des entreprises alors quʼelles doivent, au contraire, investir et améliorer lʼoffre, produirait lʼinverse des effets recherchés.

Quʼen est-il des ménages ?


Si les entreprises sont moins compétitives, le taux dʼemploi va inévitablement diminuer, alors quʼil avait réussi à remonter depuis sept ans grâce à la politique de lʼoffre mise en place par le gouvernement. Nous abîmerons alors le pouvoir dʼachat et lʼégalité des chances. A lʼarrivée, ce sont les finances publiques qui se retrouveront encore détériorées. Il y aura moins de production nationale, moins de résultats pour les entreprises et donc moins de revenus distribués. Nous allons entrer à nouveau dans le cercle vicieux dans lequel nous sommes depuis des dizaines dʼannées. Nous nous donnerons lʼillusion à court terme dʼavoir réduit le déficit public, tout en le détériorant deux ans plus tard.

Que vous inspire lʼexpression de « justice fiscale » employée par Michel Barnier ?

Avant de dire cela, il faut bien regarder les chiffres. Nous avons le taux de redistribution le plus fort parmi les pays de lʼOCDE. Il nʼy a pas de problème de justice fiscale. Il ne faut surtout pas accentuer le cercle vicieux. Travaillons plutôt sur lʼégalité des chances qui nʼest pas suffisante en France.
Ce nʼest pas le moment de baisser les impôts, ni de les monter encore parce que cela empirerait la situation dans laquelle nous sommes, à savoir un déficit commercial très fort et des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés de la zone euro. Il faut avoir une vue dynamique de lʼéconomie. Ce nʼest pas un jeu à somme nulle. Attention à ne pas faire dʼerreur de diagnostic.

Une hausse temporaire des impôts, comme le préconise le gouverneur de la Banque de France, serait-il un bon compromis ?

Ce nʼest pas une décision économique, mais purement politique. A chaque fois que nous avons décrété que les impôts seraient temporaires, ils ont été maintenus. Très peu de gens croiront donc cela parce quʼils lʼont déjà vécu. Les Français se diront quʼil y a moins de pouvoir dʼachat et vont ainsi moins dépenser. Quant aux entreprises, elles investiront moins pour les mêmes raisons. Il ne faut pas que ça soit un prétexte pour ne pas agir sur les dépenses, qui est, je le reconnais, un exercice très compliqué.

Comment lʼexpliquer ?

Il faut savoir expliquer pourquoi, comment on le fait et accompagner les gens pour montrer quʼils ne sont pas forcément perdants. Cela met obligatoirement du temps. De plus, si on allait trop vite, cela jouerait négativement sur lʼéconomie. Quand certains économistes nous disent que le choix dʼaugmenter les impôts ou de baisser les dépenses relève dʼun choix politique, je pense quʼils reflètent insuffisamment la réalité économique. Dans la situation dans laquelle nous sommes en France, les conséquences pourraient se révéler divergentes. Baisser les dépenses régulièrement de façon engagée et pas de manière brutale aurait des vertus de croissance. Monter encore les impôts aura un effet de décroissance. Lʼeffet final sur lʼéconomie et les finances publiques sera donc très différent.

Le débat actuel autour des hausses dʼimpôts ne démontre-t-il pas, en réalité, notre incapacité à réduire durablement nos dépenses publiques ?

Jusquʼà présent, nous nʼavons pas abordé le problème de façon très solide et très sérieuse. Nous avons un taux de dépenses dʼéducation publique par rapport au PIB qui est plus élevé que la moyenne européenne. Or, nous voyons dans les études, comme le classement Pisa, que nous sommes en retard. De plus, les professeurs sont moins bien payés quʼen Allemagne, par exemple. Cʼest aussi le cas dans la santé, et idem pour le salaire des infirmières. Lʼorganisation doit être repensée et nous devons améliorer lʼefficacité de nos dépenses publiques. Il nʼy a que cela qui sera durable.

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Conjoncture Economie Générale Politique Economique

Abroger la réforme des retraites serait dangereux

Les Échos , 5 septembre 2024  

La reforme des retraites a été critiquée pour avoir été mal préparée et mal négociée. Soit. Pour autant, l’abroger serait très dangereux eu égard à la fragilité de nos finances publiques et à l’absolue nécessité de les redresser. Tout signe d’aggravation de la situation pourrait déclencher une grave crise de financement de la dette française. Aussi, l’abrogation de cette réforme serait-elle comprise par les épargnants et les marchés comme irresponsable. Les dépenses publiques de retraite sur PIB représentent en 2022 déjà en effet 14,4 % en France, contre 11,9 % en zone euro.

Mais l’abrogation serait également très défavorable économiquement aux Français (pour les ménages ou les entreprises) et, en fin de compte, pénaliserait l’emploi et le pouvoir d’achat. Les seuls moyens possibles d’assurer l’équilibre des régimes de retraites par répartition sont en effet, primo, de baisser le niveau des retraites, ce qui n’est évidemment bon ni pour les retraités ni pour l’économie.

Secundo, d’augmenter les cotisations sociales. Pour les salariés, cela provoquerait une perte de pouvoir d’achat et une pression baissière sur la demande. Pour les entreprises, sachant que ces cotisations sociales sur PIB sont déjà de 50 % plus élevées en France qu’en Allemagne, cela reviendrait à réduire leur compétitivité et entraînerait une pression baissière sur l’emploi et les salaires.

Troisième et dernière solution : moduler la durée de la vie active en fonction de l’évolution de la démographie. Les mesures d’âge (âge de départ à la retraite ou, mieux, nombre d’annuités), aménagées bien entendu suivant la pénibilité du travail de chacun, sont seules à même de rendre compatibles l’intérêt des retraités actuels ou futurs et la recherche du meilleur potentiel de croissance de l’économie, de l’emploi et du pouvoir d’achat. D’autant plus qu’encore aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ne peuvent atteindre tout leur potentiel de croissance en raison d’un manque de main-d’oeuvre, qualifiée ou non.

Rappel : en France, nous avions 4 cotisants pour 1 retraité en 1960. En 2010, 1,8 cotisant seulement pour 1 retraité et ce sera 1,2 en 2050. Dans le même temps, en 1958, l’espérance de vie à l’âge de la retraite était de 15,6 ans pour les femmes et de 12,5 ans pour les hommes. En 2020, ces chiffres atteignent respectivement 26,9 ans et 22,4 ans… L’âge de départ à la retraite est pourtant moins élevé aujourd’hui qu’en 1958 !

L’espérance de vie en bonne santé après la retraite a également considérablement progressé. En France, seuls 30 % environ des personnes de 60 à 64 ans travaillent, alors que dans les autres pays de la zone euro, ils sont presque 50 % (57 % en Allemagne, 68 % en Suède).

Tous les pays voisins ont effectivement remonté, pour les mêmes raisons et par réalisme, l’âge de la retraite, en le plaçant de 65 à 67 ans. Le principe de réalité doit aussi, enfin, nous saisir , pour que notre système de retraite par répartition ne soit pas mis en danger par l’incapacité à le financer. La réforme discutée, même si insuffisante, va dans le bon sens. Il est toujours possible de l’amender quelque peu, mais attention de ne pas ouvrir la boîte de Pandore…

Enfin, deux réflexions. Tout d’abord, le travail n’est pas seulement nécessaire économiquement, il est aussi le plus souvent un moyen d’intégration, de socialisation et de réalisation de soi. Facilitons donc le travail des plus de 60 ans et incitons les entreprises à les conserver, voire à les embaucher. La seconde : le travail n’est pas à partager parce qu’il serait en quantité finie. C’est une vue statique et erronée de l’économie qui conduit à penser ainsi. Le travail crée le travail dans une dynamique où l’offre et la demande se nourrissent réciproquement. Tous les travaux empiriques le confirment.

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Conjoncture Economie Générale Politique Economique

Inflation, fin de partie ?

Après avoir surpris par sa vigueur, l’inflation, due à un choc de demande -qui a rebondi très fortement une fois les confinements terminés- et à un choc d’offre -violemment réduite pendant la pandémie-, semble revenir progressivement à des niveaux raisonnables. Les causes de ce repli sont à mettre du côté d’une remontée progressive des capacités de production mondiales et à la baisse du surcroît de demande, par l’épuisement progressif de l’excès d’épargne engendré par les confinements. Mais la désinflation a été également engendrée par une politique monétaire très réactive et très coordonnée internationalement ainsi qu’à la forte crédibilité des banques centrales qui ont affiché une grande détermination à vouloir faire revenir l’inflation à sa cible. Ce qui a permis que les anticipations d’inflation des différents acteurs économiques -entreprises comme ménages -ne se désancrent pas. Ajoutons que jusqu’à présent, à l’encontre de nombre de prévisions justifiées par des données historiques, nous avons assisté à un atterrissage en douceur de l’économie (soft landing), c’est-à-dire sans récession et sans choc financier systémique. La partie est-elle donc gagnée ? Bien possible. Plusieurs points doivent cependant nous faire rester prudents quant à ce diagnostic.

Les salaires ont évolué ces derniers temps à un rythme qui reste élevé (entre 4 et 5% par an). Or, en zone euro, les gains de productivité quasi-nuls ne permettent pas de compenser cette évolution. Les marges des entreprises sont donc en jeu. En zone euro toujours, c’est la baisse des prix des importations qui a permis d’assurer une grande partie de la désinflation. Mais peuvent-ils continuer à baisser davantage ? Et les prix des services augmentent toujours rapidement. Par ailleurs, jusqu’alors, la forte augmentation des taux d’intérêt dans un contexte pourtant de dettes publiques et privées historiquement très élevées, n’a pas produit le choc financier craint. N’avait-on pas pourtant parlé de possible « tempête parfaite » à ce sujet ? Quelques raisons à ce non-évènement : l’utilisation du surcroît d’épargne et les politiques de protection contre l’inflation ont nourri la croissance qui aide à surmonter la hausse des coûts de l’endettement.

La réglementation bancaire, fortement resserrée depuis la dernière grande crise financière (2007-2009), a globalement réussi à sauvegarder les banques. Les entreprises, profitant des taux très bas précédant le retour de l’inflation, avaient allongé leurs crédits et les avaient contractés plutôt à taux fixe. Toutefois, gardons à l’esprit quelques éléments incitant là aussi à la prudence. Le secteur immobilier professionnel, dans la bulle immobilière précédant la pandémie, avait pu connaître ici et là des excès d’endettement, d’où des insolvabilités commençant à se manifester. Beaucoup d’entreprises de tout secteur, parfois à fort levier, auront à refinancer leurs crédits dès 2024 et ces toutes prochaines années. De nombreux États eux-mêmes, très endettés, auront progressivement à supporter des charges d’intérêt en forte hausse qui viendront entrechoquer leurs trajectoires de solvabilité.

La sensibilité des marchés financiers à ce type de situation pourrait ainsi s’élever notoirement et peut-être brutalement. De plus, les banques centrales auront certainement à cœur de ne pas reproduire de phases de taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps, phases qui affaiblissent la stabilité financière. Et elles désireront conserver des marges de manœuvre pour faire face aux futures crises systémiques. L’inflation, qui plus est, pour des raisons structurelles, ne sera plus aussi basse que pendant les 30 dernières années. Nous devrions donc avoir changé de régime de taux d’intérêt pour longtemps, retrouvant des taux plus normaux, c’est-à-dire plus proches des taux de croissance nominaux. Aussi, si la situation jusqu’alors s’est révélée être un atterrissage réussi de l’inflation sans dommage majeur sur l’économie, pour éviter un choc de forte ampleur encore possible, c’est aux acteurs économiques privés et publics, appuyés sur des règles macro prudentielles bien fixées par les autorités, de s’adapter avec vigueur pour assurer la soutenabilité de leur solvabilité et de leur croissance.

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Economie Générale Finance

Les erreurs de raisonnement de ceux qui veulent augmenter les prélèvements obligatoires.

On sait que le taux de prélèvements obligatoires en France est l’un des plus élevés des 38 pays de l’OCDE et très supérieur à la moyenne de celui de ces pays.

On sait moins qu’après redistribution, les inégalités de revenus en France, qu’elles soient mesurées par l’indice Gini, par le rapport entre le revenu des 10% les plus aisés et celui des 10% les moins aisés ou encore par le taux de pauvreté relative, n’ont pas ou peu évolué depuis 20 ans, contrairement à ce que disent certains. Et qu’elles sont parmi les plus faibles en Europe et dans le monde.

En France, la redistribution est très forte, réduisant le rapport entre les revenus avant redistribution des 10% les plus aisés et ceux des 10% les moins aisés de 20 à 9. Et de 20 à 3 en y ajoutant l’effet des services publics davantage payés par les plus aisés de par la forte progressivité des impôts. 85% des personnes parmi les 30% les plus modestes reçoivent ainsi plus en termes de services publics qu’ils ne paient, contre 57% pour l’ensemble des personnes en France (étude de l’INSEE de 2023 sur la redistribution élargie). Ignorer cela dans la construction des programmes économiques est évidemment source de propositions inadéquates et partant dangereuses pour l’économie et in fine pour les moins aisés. Évidemment, le même raisonnement n’est pas tenable pour les États Unis par exemple, où l’inégalité des revenus est bien plus forte et a beaucoup augmenté depuis 20 ans.

Un autre point fondamental est ignoré gravement de certains programmes. L’économie et le social ne sont pas statiques. Ce sont des dynamiques dont les effets sont difficilement isolables les uns des autres et dont les interactions peuvent provoquer des évolutions favorables ou catastrophiques, à l’envers même des buts recherchés.

Si, alors que les prélèvements obligatoires en France sont sur le podium européen et de l’OCDE, ils sont encore augmentés, ils retro-agiront de façon négative avec l’emploi -en réduisant la compétitivité des entreprises, la dynamique de l’entrepreneuriat, l’incitation au travail…-, comme avec la croissance. Or l’emploi et la croissance sont les facteurs principaux de lutte contre la pauvreté et de développement du niveau de vie. Depuis 2000, le PIB par habitant de la France a décliné en relatif en Europe.

De même, l’offre et la demande ne sont pas à considérer séparément. La France a déjà un très fort déficit commercial et un déficit courant qui démontrent son insuffisante compétitivité. Sa dépendance financière vis à vis du reste du monde ne cesse ainsi de monter. Augmenter artificiellement la demande ne ferait qu’aggraver encore le déficit extérieur. Le développement de l’économie nécessite que la demande soit ferme, mais nécessite tout autant de développer simultanément une offre compétitive, qui accroîtra en outre la demande par le développement de l’emploi notamment. La demande ne peut être longuement soutenue par le biais de dépenses publiques toujours en hausse, qui finissent par induire un endettement insoutenable. Pas plus en finançant ces dépenses par un accroissement incessant des prélèvements qui finissent par réduire l’offre et les emplois.

La bonne façon de lutter contre la pauvreté et pour le pouvoir d’achat n’est donc certainement pas d’augmenter encore les impôts et les cotisations, déjà très élevés, ni les dépenses publiques(qui d’ailleurs à long terme ne sont pas corrélées positivement à la croissance), mais de favoriser l’innovation technologique et verte, la mobilité sociale pour améliorer l’égalité des chances, l’incitation au travail, beaucoup d’entreprises ne pouvant se développer par manque de ressources humaines, etc.

Cessons de chérir les causes qui entraînent les effets que l’on déplore !

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Economie Générale Politique Economique

« L’union européenne des marchés de capitaux, utile mais pas suffisante ! » – la tribune d’Olivier Klein

« Le projet d’union européenne des capitaux gagnerait à être complété par l’implémentation de réformes dans les pays du Sud (France incluse) et par une impulsion européenne sur le dynamisme de l’économie », estime Olivier Klein, directeur général de Lazard France Banque, professeur d’économie à HEC

Ne surestimons pas le caractère décisif du changement souhaité par le projet de l’union européenne des marchés de capitaux. Le réinvestissement de la capacité (surplus) de financement de l’Union Européenne en Europe même, plutôt qu’aux États-Unis, en résultera-t-il de façon certaine ? En effet, avant la crise idiosyncratique de la zone euro, débutant en 2010, les capacités de financement des pays du Nord venaient bien financer les besoins de financement des pays du Sud de la zone avec, pourtant, une organisation des marchés financiers telle qu’elle est encore aujourd’hui.
Les mesures proposées en faveur de l’union des marchés de capitaux, par Christian Noyer par exemple, me paraissent très utiles. Mais pas un « game changer ». Aujourd’hui, on peut investir librement sur chaque bourse européenne ou financer des entreprises européennes par le biais de dépôts dans les banques ou de placement dans des fonds de dette ou de private equity… Certes, un marché plus intégré, plus harmonisé, supervisé plus européennement, donnerait plus de profondeur, de liquidité aux marchés financiers européens. Ils deviendraient donc plus attractifs. L’unicité du marché européen protégerait en outre mieux les épargnants en les sécurisant davantage. Donc, ce serait indéniablement un plus significatif, mais pas suffisant pour assurer le recyclage des excédents d’épargne de certains pays européens en Europe même. Pourquoi ? Comment s’en assurer avec plus de certitude ?

Deux éléments seraient aptes à déclencher un changement d’orientation géographique de l’excédent d’épargne européenne. D’une part, l’implémentation de réformes dans les pays du Sud (France incluse) visant à ne pas connaître de déficits publics forts en permanence et à s’approcher progressivement du niveau de dette publique sur PIB des pays du Nord. Cela permettrait l’acquisition d’une crédibilité des finances publiques durable. Ce qui permettrait de progresser significativement dans la solidarité réelle et structurelle entre les pays de la zone. Et de favoriser ainsi le « risk sharing » entre pays européens. Donc la confiance des épargnants-investisseurs du Nord dans la soutenabilité de la dette des pays du Sud.

Les investisseurs des pays du Nord ont en effet cessé d’investir dès 2010 leurs excédents courants pour financer les besoins de financement des pays du Sud, lorsqu’ils ont compris que la solidarité n’était pas automatique. Et ils rechignent encore très fortement à assurer une telle solidarité, craignant que la fourmi n’ait à aider les cigales toute l’année et ce, chaque année. Ainsi, aujourd’hui les soldes des balances courantes du Sud sont à zéro +, depuis la sortie de la crise de la zone euro, parce qu’un déficit courant pourrait leur être difficile à financer. Et les excédents du Nord sont placés essentiellement aux États-Unis…

Aujourd’hui, les excédents du Nord de l’Europe sont essentiellement placés aux États-Unis…

D’autre part, ⁠une impulsion européenne pour un plus grand dynamisme de l’économie européenne et une croissance schumpétérienne favorable à l’innovation. Impulsion passant par des incitations à élever le niveau de R&D, par des subventions bien mesurées et ciblées et des garanties partielles sur des investissements bien sélectionnés, par des investissements publics-privés, par des incitations à l’innovation et à l’industrialisation dans les secteurs des industries du futur, etc.

Développer une culture du risque et non une religion de la précaution

De même, une réglementation non naïve ( CSDR, concurrence, vert …) et prenant en compte la compétitivité de nos industries, ainsi qu’une fiscalité appropriée, enfin le développement d’une culture du risque et non une religion de la précaution, signe de notre vieillissement, devraient permettre également que les épargnants et leurs représentants (les investisseurs institutionnels) aient envie d’investir davantage dans de nombreux projets d’avenir en Europe, parce qu’ils offriraient de belles perspectives de rentabilité.

Ces deux éléments ne sont pas contradictoires, plutôt complémentaires et non opposables, avec le projet d’union européenne des capitaux. Mais ils semblent plus décisifs. Privilégier ou même ne se focaliser que sur l’union des capitaux hypertrophierait symboliquement le rôle de la finance et entraînerait le risque de fortes déceptions ultérieures. Les bons projets n’ont pas de mal à se financer.