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Economie Générale Finance

Les erreurs de raisonnement de ceux qui veulent augmenter les prélèvements obligatoires.

On sait que le taux de prélèvements obligatoires en France est l’un des plus élevés des 38 pays de l’OCDE et très supérieur à la moyenne de celui de ces pays.

On sait moins qu’après redistribution, les inégalités de revenus en France, qu’elles soient mesurées par l’indice Gini, par le rapport entre le revenu des 10% les plus aisés et celui des 10% les moins aisés ou encore par le taux de pauvreté relative, n’ont pas ou peu évolué depuis 20 ans, contrairement à ce que disent certains. Et qu’elles sont parmi les plus faibles en Europe et dans le monde.

En France, la redistribution est très forte, réduisant le rapport entre les revenus avant redistribution des 10% les plus aisés et ceux des 10% les moins aisés de 20 à 9. Et de 20 à 3 en y ajoutant l’effet des services publics davantage payés par les plus aisés de par la forte progressivité des impôts. 85% des personnes parmi les 30% les plus modestes reçoivent ainsi plus en termes de services publics qu’ils ne paient, contre 57% pour l’ensemble des personnes en France (étude de l’INSEE de 2023 sur la redistribution élargie). Ignorer cela dans la construction des programmes économiques est évidemment source de propositions inadéquates et partant dangereuses pour l’économie et in fine pour les moins aisés. Évidemment, le même raisonnement n’est pas tenable pour les États Unis par exemple, où l’inégalité des revenus est bien plus forte et a beaucoup augmenté depuis 20 ans.

Un autre point fondamental est ignoré gravement de certains programmes. L’économie et le social ne sont pas statiques. Ce sont des dynamiques dont les effets sont difficilement isolables les uns des autres et dont les interactions peuvent provoquer des évolutions favorables ou catastrophiques, à l’envers même des buts recherchés.

Si, alors que les prélèvements obligatoires en France sont sur le podium européen et de l’OCDE, ils sont encore augmentés, ils retro-agiront de façon négative avec l’emploi -en réduisant la compétitivité des entreprises, la dynamique de l’entrepreneuriat, l’incitation au travail…-, comme avec la croissance. Or l’emploi et la croissance sont les facteurs principaux de lutte contre la pauvreté et de développement du niveau de vie. Depuis 2000, le PIB par habitant de la France a décliné en relatif en Europe.

De même, l’offre et la demande ne sont pas à considérer séparément. La France a déjà un très fort déficit commercial et un déficit courant qui démontrent son insuffisante compétitivité. Sa dépendance financière vis à vis du reste du monde ne cesse ainsi de monter. Augmenter artificiellement la demande ne ferait qu’aggraver encore le déficit extérieur. Le développement de l’économie nécessite que la demande soit ferme, mais nécessite tout autant de développer simultanément une offre compétitive, qui accroîtra en outre la demande par le développement de l’emploi notamment. La demande ne peut être longuement soutenue par le biais de dépenses publiques toujours en hausse, qui finissent par induire un endettement insoutenable. Pas plus en finançant ces dépenses par un accroissement incessant des prélèvements qui finissent par réduire l’offre et les emplois.

La bonne façon de lutter contre la pauvreté et pour le pouvoir d’achat n’est donc certainement pas d’augmenter encore les impôts et les cotisations, déjà très élevés, ni les dépenses publiques(qui d’ailleurs à long terme ne sont pas corrélées positivement à la croissance), mais de favoriser l’innovation technologique et verte, la mobilité sociale pour améliorer l’égalité des chances, l’incitation au travail, beaucoup d’entreprises ne pouvant se développer par manque de ressources humaines, etc.

Cessons de chérir les causes qui entraînent les effets que l’on déplore !

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Finance Politique Economique

Le cercle vicieux français des hausses d’impôts

La hausse d’impôts n’est pas la solution, seule une politique de réformes, une bonne maîtrise de nos finances publiques, des investissements d’avenir nous permettront de préserver notre niveau de vie et de protection sociale, écrit Olivier Klein.

Voilà bien longtemps que le taux de prélèvement obligatoire connaît une tendance haussière en France pour atteindre plus de 43 % du PIB en 2023, soit le plus élevé de l’Union européenne (environ 6 points plus élevés que la moyenne de la zone euro). Le taux marginal d’imposition des revenus des ménages s’élève à 55,2 %, contre 47,5 % en Allemagne. Il est plus élevé qu’en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas ou en Belgique, par exemple.

Le taux de taxation du capital reste encore supérieur à la moyenne européenne malgré les baisses récentes fort utiles à l’économie française, ce qui a été bien documenté. Quant aux entreprises, malgré les efforts des dernières années, elles sont soumises à des impôts de production supérieurs de plus de 2 points du PIB à la moyenne de la zone euro et de presque 4 points par rapport à l’Allemagne.

Faute de maîtriser les dépenses publiques (notamment de fonctionnement), le déficit public est souvent resté élevé, y compris en 2023, où il a été l’un des plus forts de la zone euro. Les effectifs de la fonction publique, par exemple, approchaient en effet 6 millions de personnes en fin 2023, en hausse constante (33 % de plus qu’en 1990), avec une part totale très élevée dans l’emploi total (plus de 21 %). Or il n’y a pas de corrélation positive à long terme entre l’accroissement des dépenses publiques et la croissance économique.

Un des niveaux de redistribution les plus élevés de l’OCDE

L’augmentation des prélèvements sur les ménages ne peut pas avoir non plus pour raison de lutter contre l’inégalité de revenus. Après redistribution, cette dernière est en France l’une des plus basses en Europe. L’indice Gini des inégalités post-redistribution s’établit à 0,298, alors que l’Allemagne atteint 0,303 ; l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni s’élèvent à des niveaux compris entre 0,320 et 0,354. En outre, le niveau d’inégalité en France reste sensiblement stable depuis 1990. La France connaît de fait l’un des niveaux de redistribution les plus élevés de l’OCDE. Ajoutons encore que la part du revenu national après redistribution détenue par les 1 % les plus riches en France est également l’une des plus faibles après redistribution à 7,17 %, contre 8,72 % en Suède, 10,32 % en Italie ou 14,35 % aux Etats-Unis. De même, le taux de pauvreté y est inférieur à la moyenne européenne.

Ainsi, l’augmentation des prélèvements obligatoires, comme du niveau de la redistribution, serait contre-productive, conduisant à des effets contraires à ceux recherchés tant sur l’emploi que sur la croissance. La course sans fin entre les dépenses et les prélèvements publics nettement plus élevés chez nous qu’ailleurs n’a cessé de provoquer une hausse de l’endettement, qui désormais atteint des niveaux inquiétants. Rappelons qu’entre 2000 et 2022, la dette publique française a crû deux fois plus rapidement que celle de la zone euro. Le résultat est une fragilisation de plus en plus forte de l’économie française, sans gains en matière de croissance relative.

Politique de réformes

Plus d’impôts encore, au-delà d’un seuil déjà élevé, conduirait à affaiblir notre compétitivité et notre attractivité, donc notre taux d’emploi, qui est pourtant déjà faible en comparaison de celui des pays du nord de l’Europe. Ce qui induirait à son tour plus d’inégalités avant redistribution, l’emploi étant décisif en la matière. Conduisant ainsi à élever à nouveau le taux de redistribution, donc à provoquer à nouveau plus de prélèvements. Le cercle vicieux est bouclé.

Seule une politique de réformes, une bonne maîtrise de nos finances publiques (notamment des dépenses de fonctionnement), des investissements d’avenir permis par une réallocation de nos dépenses publiques, nous permettront de préserver notre niveau de vie et de protection sociale. Ne pas le comprendre conduirait très vite à décourager le travail et les talents, à abîmer une compétitivité déjà insuffisante, donc à aggraver les inégalités des chances et à produire massivement de la pauvreté.

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Le modèle européen sera insoutenable sans réformes

Les constats sur moyenne période quant aux performances économiques de l’Europe imposent une réflexion critique. Et les anticipations quant aux difficultés à venir nécessitent de penser les réformes à mettre en place très rapidement pour protéger le niveau de vie et de protection sociale européen, bien commun inestimable mais insoutenable sans changement en profondeur.

Quelques données. Sur les 20 dernières années (2002-2023), le taux de croissance économique cumulée des Etats-Unis s’est élevé à 60 %. Celui de la zone euro à 30 %. La consommation des ménages américains a progressé de 60 %, celle des Européens de 20 %. Le taux de recherche et développement privé et public américain a dépassé d’environ un point le PIB européen depuis 20 ans, etc. Ainsi, les gains de productivité ont-ils crû de plus de 45 % aux Etats-Unis contre 10 % en zone euro. De 2019 à 2023, ils ont progressé de 1,7 % l’an aux Etats-Unis et de 0,3 % en zone euro (-0,8 % en France). Or la population en âge de travailler croît d’environ 0,2 % par an aux Etats-Unis alors qu’elle baisse d’environ 0,5 % par an en zone euro. Elle baissera de 0,8 % vers 2030, le pourcentage de la population de plus de 65 ans ne cessant d’augmenter (22 % aujourd’hui, 26 % en 2030).

Pour faire face à cet effet démographique négatif et protéger le niveau de vie européen, il serait indispensable de connaître plus de croissance, donc plus de gains de productivité. L’innovation, la recherche-développement, la robotisation devraient être très largement encouragées. D’autant que l’Europe n’est pas bien placée dans les industries stratégiques du futur: éoliennes, panneaux voltaïques, batteries électriques, voitures électriques, industries de la quatrième révolution technologique…

Il nous faut donc changer de paradigme en facilitant bien davantage la croissance schumpétérienne, par destruction créatrice. En repensant le poids de la réglementation qui, en Europe, est toujours supérieure à celle du reste du monde. En accroissant la mobilité du travail et de celle des capitaux. En luttant contre la baisse de la qualité et de l’efficacité de l’enseignement. En maîtrisant et en allouant mieux les dépenses publiques… En effet, une croissance potentielle européenne de l’ordre de 0,5 à 1 %, résultant de gains de productivité proches de zéro, d’une démographie déclinante et d’un ralentissement de l’élévation du taux d’emploi, ne pourra en aucun cas assurer la persistance de la prospérité économique européenne.

Une immigration qualifiée permettrait également de résoudre cette difficile équation ; aux Etats-Unis, l’immigration ayant, au total et en moyenne, un niveau d’éducation supérieur à celui de la population résidente. Enfin, une augmentation de la quantité de travail (nombre d’heures travaillées dans la vie comme nombre de personnes travaillant en pourcentage de la population), avec une moindre désaffection culturelle pour le travail, sera indispensable.

La préférence des Européens, comme de leurs institutions, pour la précaution contre le risque, de même que l’extension permanente des droits sans les accompagner de celle des devoirs, ne sont pas soutenables, sauf à risquer un déclin inexorable. Une certaine naïveté stratégique doit céder la place à un pragmatisme éthique. L’éthique sans l’efficacité ne peut subsister bien longtemps. L’Europe ne peut longuement encore supporter sans danger la critique que Péguy faisait du kantisme : avoir les mains pures, mais ne pas avoir de mains du tout. Pour préserver l’essence même de ce qui a fait l’Europe d’après-guerre, il faut donc d’urgence changer notre logiciel. Reste à bien penser les réformes institutionnelles, celles du mode de régulation de l’Europe elle-même, pour permettre ce sursaut et lui permettre de conserver sa place dans le monde.

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Dette et déficit publics : comment éviter le précipice

5,5 % du PIB en 2023 : le taux de déficit public français s’affiche à un niveau inattendu et comme l’un des plus élevés de l’Union européenne. Pourquoi est-ce un sérieux problème ? Quelles sont les possibilités de sortir d’une impasse dans laquelle le France s’enfonce depuis longtemps ?

Un déficit peut être souhaitable lorsque la politique budgétaire joue son rôle contracyclique lors de récessions, par exemple. Toutefois, si la croissance française et européenne s’est avérée faible en 2023, la récession crainte du fait de la remontée historique des taux d’intérêt ne s’est pas produite. Après les années de déficits publics très élevés (6,6 % en 2021 et 4,8 % en 2022), il était espéré que celui de l’année passée s’établirait à un niveau bien moindre et que sa décrue soit programmée et crédible pour les années suivantes. La France enchaîne sans discontinuer les déficits publics depuis 1974, or, empiriquement, il n’y a pas de corrélation positive à long terme entre les déficits publics et le taux de croissance.

Si le taux d’endettement public était faible, ou même moyen, quelques années de déficits publics à des niveaux élevés ne seraient pas dangereuses. Mais notre endettement public (système de protection sociale inclus) dépasse les 110 %. Notre déficit primaire (avant paiement des intérêts de la dette) s’approche de 4 % du produit intérieur brut (PIB). Notre croissance potentielle est faible et le taux d’intérêt réel long terme est devenu légèrement positif. Nous sommes sortis durablement de la période de taux bas. L’argent gratuit ayant disparu, le coût de l’endettement public est passé de 34 milliards d’euros en 2020 à plus de 50 milliards en 2023 et atteindra plus de 70 milliards en 2027. Il n’y a plus d’argent magique. Cette combinaison très défavorable pourrait ainsi nous amener à connaître un effet boule de neige de la dette publique, qui consiste à emprunter davantage encore pour payer les intérêts de la dette elle-même, dans une croissance sans fin et très déstabilisante de la dette publique. Le taux de la dette publique française s’élevait à 20 % du PIB en 1980, à 60 % en 2000 (idem en Allemagne) et 110,6 % en 2023 (contre environ 65 % en Allemagne). Enfin, si le taux d’endettement public a monté de 25 points de PIB environ pour l’ensemble de la zone euro depuis 2000, il a monté de 50 points pour la France, soit du double.

Il existe des possibilités de sortir de l’impasse, à l’abri certes de l’euro qui nous a protégés dès 2000, mais qui pourrait tôt ou tard ne plus suffire.

Pas de marge de manœuvre

L’annulation de la dette détenue par la banque centrale est non seulement hautement périlleuse, mais en outre inutile car les intérêts perdus par l’autorité monétaire le seraient à l’identique par l’État qui reçoit en recettes les résultats de l’institut d’émission.

La montée des impôts serait une solution si la France ne connaissait déjà un taux de prélèvement obligatoire (43,5 % du PIB en 2023) parmi les plus élevés dans le monde. Mais aujourd’hui, cela conduirait à ralentir la croissance et à détériorer tôt ou tard encore déficit et dette. Et dégrader encore davantage le taux d’emploi. Soit, retomber dans le cercle vicieux français. Cette recette ne peut fonctionner que lorsqu’il existe une marge de manœuvre. Ce n’est plus le cas pour la France.

Le taux d’imposition des revenus pour plus de la moitié des ménages est nul en France et les taux sont plus faibles que dans le reste de la zone euro pour les premières tranches du barème. Mais le taux marginal sur les revenus des ménages s’élève en France à 55,2 % contre 47,5 % en Allemagne ; il est également plus élevé en France qu’en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas ou en Belgique. Il ne semble donc guère faisable de provoquer encore davantage de distorsions en augmentant les barèmes des ménages les plus aisés. Le taux de taxation du capital, quant à lui, reste encore supérieur à la moyenne européenne. En outre, le niveau d’inégalité des revenus en France est l’un des plus bas européens.

Les entreprises, quant à elles, malgré les efforts des dernières années connaissent encore des prélèvements bien au-dessus de leurs concurrents européens : les impôts sur la production, par exemple, sont encore en 2022 supérieurs de 2,4 points de PIB par rapport à la moyenne de la zone euro et de 3,7 points par rapport à l’Allemagne.

En 2022, le taux de prélèvement obligatoire était de 6,1 points de PIB supérieur au taux moyen de la zone euro. Il est le plus élevé de l’Union européenne. L’arme budgétaire peut être d’une grande utilité, mais seulement si l’on est capable de la recharger régulièrement.

Baisser significativement le niveau des dépenses publiques par rapport au PIB est ainsi souhaitable lorsque l’on atteint ces sommets. Dans le cas de la France, il faudrait procéder notamment à une réingénierie de l’organisation territoriale comme de la gestion des services publics. Ce qui ne peut que prendre du temps et provoquer des mécontentements. Pourtant, la nécessité en est grande et la méthode du rabot très limitée en efficacité.

Cependant, il n’est pas raisonnable, avec une croissance bien faible, de procéder à une baisse rapide et indifférenciée des dépenses publiques car elle peut engendrer à court terme une récession qui aurait des effets négatifs sur les déficits eux- mêmes. Stabiliser leur niveau en volume et les réallouer est en revanche particulièrement souhaitable. Et en améliorer fortement leur efficacité. En associant les salariés des services publics (y compris ceux de la sécurité sociale au sens large) pour leur en montrer les bénéfices qu’ils pourraient eux-mêmes en tirer. En travaillant administration par administration et transversalement par thème, sereinement mais sans tergiverser ni procrastiner. Avec l’appui des outils numériques, entre autres, c’est possible sans dégâts humains. Le dire et le faire de façon crédible s’impose. La crédibilité est, en effet, clé pour la stabilisation financière.

Au moins trois leviers

Cela peut-il suffire ? Non. Deux leviers supplémentaires sont nécessaires, à jouer conjointement avec le précédent, et à annoncer publiquement, en affichant une détermination sans faille et une programmation claire. Il y va de la crédibilité indispensable des pouvoirs publics pour convaincre l’ensemble des parties prenantes.

Poursuivre les réformes structurelles qui permettent d’augmenter la croissance, soit accroître la quantité de personnes disponibles au travail et augmenter les gains de productivité. Le surplus de croissance engendrée permettrait de soulager le taux de déficit et l’endettement public par la hausse du dénominateur.

Mais face au retard français et européens en termes d’innovations technologiques et d’industries du futur, ces seules actions ne suffiraient à nouveau probablement pas.

Le développement de programmes du type de l’IRA américain, adossé à une politique industrielle bien pensée serait incontournable, mais illusoire avec l’endettement actuel. Il est également probablement illusoire de penser que l’Union européenne accepterait de lancer un second emprunt commun semblable à celui lancé pendant la pandémie.

Seule la concomitance de ces trois axes d’actions peut éviter une catastrophe prévisible. Il faut allier les investissements de croissance et de compétitivité dont le financement serait gagé sur une baisse récurrente des dépenses de fonctionnement par rapport au PIB, la plus grande efficacité des services publics (dans la santé, comme dans l’éducation par exemple, les dépenses publiques françaises sur PIB sont parmi les plus hautes en Europe, avec pourtant une forte dégradation ressentie comme mesurée) et l’amélioration de la croissance potentielle grâce aux réformes structurelles.

La dette publique, lorsqu’elle n’est plus soutenable, entraîne les pires conséquences économiques et sociales. Le désordre monétaire et financier dû à un endettement trop longtemps excessif et non soutenable peut induire brutalement des ruptures dans la confiance des citoyens, comme des marchés financiers internationaux (les investisseurs étrangers financent plus de 50 % de l’endettement public français). Et à défaut d’une rupture brutale, un endettement non maîtrisé peut conduire à un déclin inexorable, dont les conséquences économiques et sociales sont, in fine, tout aussi mauvaises, sinon brutales. Seul l’engagement d’une conduite claire et programmée des trois plans d’actions ici décrits, bref seule la présentation d’une trajectoire lisible et crédible, car solidement étayée, semble pouvoir éviter un tel risque.

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Olivier Klein, l’art du passage

Directeur général de Lazard Frères Banque et associé gérant, après avoir incarné la Bred durant plus de dix ans, Olivier Klein poursuit son enseignement et son travail d’auteur. Il a publié, il y a quelques mois, « Crises et mutations : petites leçons bancaires ». Sa lecture fluide est à savourer.

Olivier Klein, récemment nommé directeur général de Lazard Frères Banque, enseigne la macroéconomie financière et la politique monétaire à HEC, écrit de nombreux articles de stratégie bancaire, de politique monétaire, d’économie monétaire et de réformes structurelles, et participe à de nombreux colloques où il adore « frotter sa pensée » avec les plus grands économistes et les dirigeants des institutions financières. Enfin, il a publié il y a quelques mois un essai majeur chez Eyrolles et RB Édition, Crises et mutations : petites leçons bancaires. Il faut lire ce livre ! Olivier Klein a le sens de la formule et le goût des citations bien choisies. Surtout, ce professeur-banquier, à partir de son expérience de terrain, fort bien documentée, propose des analyses qui renouvellent la pensée stratégique. À titre d’exemple, comment changer sans casser ? Les adeptes de l’approche « parties prenantes » comme les partisans du respect de l’identité des entreprises y trouveront des arguments forts.

Au-delà des idées foisonnantes qui structurent ce livre, c’est cette capacité de l’auteur à agir, à formuler une pensée, et à enseigner qui retient l’attention. Olivier Klein est, à n’en pas douter, un « passeur » et notre société manque aujourd’hui de ce type de profils. Nous avons d’excellents chercheurs, qui publient dans les meilleures revues scientifiques, nous avons des dirigeants d’entreprise de très haut niveau, mais le problème du « passage » entre théorie et pratique comme celui entre recherche et pédagogie restent subtils et complexes.

Le parcours d’Olivier Klein, comme ses travaux sont, à maints égards, des exemples de « passage » réussi et peuvent nous éclairer sur l’importance de cette notion.

D’abord, parce que son parcours comme sa démarche dans ses articles de macroéconomie nous montrent comment la pratique s’enrichit des démarches scientifiques et des modèles produits par la recherche. À la lecture de son livre, on voit bien qu’il n’y a pas d’acte qui ne soit posé sans référence à ce qui apparaît comme un savoir. Chris Argyris, professeur à Harvard et l’un des théoriciens de l’apprentissage organisationnel, parlait d’« une théorie d’usage ». Ainsi, la pratique, si elle ne peut se résoudre à « rentrer » dans un seul paradigme, s’appuie obligatoirement sur des modèles, sur des théories.

Des sciences à la pratique

Encore faut-il être capable de transférer au moindre coût ces modèles dans la pratique. « Au moindre coût » signifie ici « en minimisant le risque d’une mauvaise interprétation des résultats scientifiques disponibles ». C’est ce que réussit, brillamment de surcroît, Olivier Klein. Cela n’est pas aisé, ne serait-ce que parce qu’un seul discours scientifique ne peut résoudre simultanément tous les problèmes posés au praticien. Cette difficulté se traduit souvent par une frustration qui porte certains à jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est-à-dire à rejeter en bloc tout apport de la théorie et de la science, sous prétexte que celles-ci ne peuvent résoudre tous les problèmes du moment. C’est ici que réside l’apport du « passeur ». Il doit aider au passage entre les sciences et la pratique. Il doit choisir les aspects les plus performants de la théorie, proposer une interprétation rigoureuse des faits et enfin, participer au nuancement des catégories de la pensée. Il doit, en quelque sorte, proposer ce que nous appellerons une « leçon ». C’est-à-dire que sa démarche doit être analogue à celle des « bons essais ». On sait que les « bons essais » sont ceux qui, avec rigueur, choisissent certaines parties de théories pour les confronter sans complaisance à une situation particulière, située dans le temps et dans l’espace. Le « bon essai » doit aussi proposer de gommer avec rigueur certaines frontières entre les différentes sciences. Si celles-ci sont en effet structurées en termes de paradigmes, le « passeur » devra être à même de proposer une synthèse « négociée », c’est-à-dire nourrie d’influences diversifiées, combinant des échelles d’analyses multiples et orientée vers la prescription. Il ne s’agit donc pas d’une vulgarisation de la science car le « passeur » doit faire preuve d’une grande vigilance intellectuelle pour articuler dans une vision globale plusieurs référents théoriques, plusieurs éclairages et plusieurs habitudes d’interprétation propres à chaque pratique. Là aussi, c’est ce que réussit Olivier Klein, en particulier dans son livre, et cela manifeste une grande rigueur de pensée. Le Capitole est en effet proche de la Roche tarpéienne : le travail difficile de « traduction » risque de se transformer en récupération hâtive des dernières modes et en interprétations cursives de théories mal assimilées. Le « passeur » peut, s’il n’y prend garde, devenir un « vendeur de soupe ». C’est ce qu’évite, page après page, démonstration après démonstration, Olivier Klein.

Pour conclure sur la fonction de « passeur » d’Olivier Klein, je crois qu’il est important de souligner que ses textes nous éclairent certes, mais surtout, et c’est là un point majeur, qu’ils nous incitent à nous tourner vers le futur. Notre temps a peur de la modernité qui exclut, qui remplace l’homme, qui explore les confins, qui bâtit un ordre menaçant contre, apparemment, « le bon vieux temps ». La tentation est grande de la réaction et de la condamnation. Dans la pensée d’Olivier Klein, qui nous invite à habiter l’avenir, l’optimisme (ou le pessimisme) n’est jamais la question de fond. Il faut « simplement » comprendre notre monde, et nous engager alors pour exercer notre liberté à inventer des moyens nécessairement nouveaux ! Olivier Klein est sans conteste un « passeur » qui mobilise.

Revue Banque – Bernard Ramanantsoa
Article publié le 15 septembre 2023.


Références

  • Argyris Ch., avec des contributions de Moingeon B & Ramanantsoa B. (1995), Savoir pour agir. Surmonter les obstacles de l’apprentissage organisationnel, trad. de Loudière G.), lnterEditions.
  • Boutinet J.-P. (ed.) (1985), Du discours à l’action.
    Les sciences sociales s’interrogent sur elles-mêmes, Logiques Sociales, L’Harmattan.
  • Geertz C. (1986), Savoir local, Savoir global. Les lieux du savoir, Puf.
  • Cain T., Wieser C. & Livingston K. (2016), « Mobilising Research Knowledge for Teaching and Teacher Education », European Journal of Teacher Education, vol. 39, no 5, p. 529-533.
  • Gaussel M. & Rey O. (2016), « The Conditions for the Successful Use of Research Results by Teachers: Reflections on some Innovations in France », European Journal of Teacher Education, vol. 39, n° 5, p. 577-587.
  • Gaussel M., Gibert A-F., Joubaire Cl., & Rey O. (2017), « Quelles définitions du passeur en éducation ? »,
    Revue française de pédagogie, 201-2017, 35-39.
  • Munérol L., Cambon L. & Alla F. (2013), « Le courtage en connaissances, définition et mise en œuvre : une revue de la littérature », Santé publique, vol. 25, no 5, pp. 587-597.
  • Ward V. L., House A. O. & Hamer S. (2009), « Knowledge Brokering: Exploring the Process of Transferring Knowledge into Action », BMC Health Services Research, vol. 9.
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Finance Politique Economique

Texte de mon intervention à la conférence d’EURO 50 de juin 2023 : « Can the risk of financial instability come from Non-Bank Financial Institutions?  (NBFIs) »

Can the risk of financial instability come from Non-Bank Financial Institutions?  (NBFIs)

Market finance and NBFIs (pension funds, insurers, investment funds, hedge funds) have seen a sharp increase in their share worldwide since the Great Financial Crisis.
It now accounts for around 50% of global financing and 30% in the corporate sector.
Obviously, because banks alone cannot guarantee the full amount to be financed, it is very useful that the NBFIs, as major players on the financial markets, take part in financing.
As the NBFIs sector accounts a lot in global financial assets, the correct functioning of the non-bank sector is crucial  for financial stability.

However, NBFIs potential fragility has been increasing for the last 15 years or so.
All in all, there is a high level of financial vulnerabilities in the financial system. Recent stresses at some banks remind us of the elevated financial vulnerabilities built over years of too low for too long interest rates and ample liquidity.
The recent manifestations of these strains – Silicon Valley Bank being a good example – appeared to be more idiosyncratic. This bank was in fact very badly managed and severely undersupervised. But, this bank was not the only bank to face this situation and the fast contagion we witnessed, shows in my opinion, that we are facing a potential systemic issue, rather than a simple idiosyncratic problem.

As a matter of fact, as I said, too low for too long interest rates, with very abundant liquidity have led to a high level of vulnerabilities in many balance sheets.
On the liability side, numerous firms and states, and even sometimes individuals, in both Advanced and Emerging Countries, have been able to run up debts painlessly, until over-indebtedness is proven when interest rates normalize.
On the asset side, because of zero, or even negatives rates, final investors or their asset managers were incited to take more and more risk to get a little return. By lengthening the maturities, by increasing the mismatch between the asset and liability duration, by choosing higher and higher leverage, including by using more and more derivatives, etc.

The rapid rise in rates has of course brutally interrupted this too long period of too low rates, during which the accumulation of vulnerabilities took place.
As far as banks are concerned, since the Great Financial Crisis, the bank regulation has increased significantly, notably through the increase in the required capital adequacy ratios and the setting of restrictive ratios limiting liquidity risks.
So, on average, banks are much more solid than before the Great Financial Crisis. But, there is no such regulation for non-bank financial institutions,  and specifically for funds.

So, the former financial environment led the NBFIs, on behalf of savers, to seek returns, but increasingly taking on risks.
Let me be more explicative:
1st. In terms of credit risks – including higher and higher leverage ratios, with squashed risk premiums.
2nd. In terms of liquidity, by further extending the securities of bonds or credit, and by lowering the expected level of their liquidity. And doing so, endangering their liquidity risk, with bigger and bigger liquidity mismatching.
3rd.The funds’ use of derivatives (futures, repo, etc.) amplified tremendously their own leverage. For example, between 2015 and 2022, the financial leverage (measured by derivatives over total assets) of macro-hedge funds came from 15% to more than 30%. And for relative value funds: from 15% to 25%.
On top of that, Margin calls as well as collateral calls may be fatal.


All this has been highlighted by numerous organisations in charge of supervising financial stability around the world.
So, all in all, financial risk could have been partly pushed out of the banking system onto NBFIs, without control.

A piece of evidence:
The violent financial crisis of March 2020, triggered by the expected impact of the pandemic, was fortunately brought swiftly under control by the Central Banks. They acted very strongly and very quickly. The violence of this flash crisis was much more due to the vulnerability of many funds, than to banks which demonstrated, by the way, their resilience.
Central Banks had to buy very large amounts of securities, including high yield bonds, from funds in difficulty.
Central Banks had to prevent a catastrophic chain of events, due in particular to sudden withdrawal from final investors, that these funds could not absorb without incurring excessive losses or without a major liquidity crisis.

Of course, additionally, high levels of interconnectedness among NFBIs and with banks can also be a crucial channel of financial stress.

And, obviously, possible repeated Central Banks’ interventions to provide them with liquidity support during systemic stress events could bring a very dangerous moral hazard effect !

So, some ideas arising from these facts and analyses, converging with the IMF proposals:
1st.Robust surveillance, regulation (capital and liquidity requirements) and supervision are needed.
2nd.Public data disclosures are required to post the liquidity mismatch chosen, the level of leverage (including derivatives), etc.
3rd.Only under these conditions, access to Central Banks facilities liquidity at a high interest rate and/or fully collateralized should be envisaged. Otherwise, there would be a free option!

As NBFIs became more and more important in the financial intermediation, and because of their systemic risk and potential vulnerabilities, an appropriate international regulation of the NBFIs seems to me a priority.

Finally, I’d like to say that prudential and macro-prudential regulation cannot do everything. But it is essential to mitigate the intrinsic procyclicality of finance and to prevent -better then to cure-financial instability, as much as possible.
So, in my opinion, prudential and macro-prudential regulation must now be extended and adapted notably to investment and hedge funds.

> Ordre du jour de la dernière conférence d’EURO 50, tenue le 19 juin à la BEI au Luxembourg