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Economie Générale Politique Economique

Peut-on stabiliser le taux d’endettement public français ?

Lorsque le taux d’intérêt est égal au taux de croissance, comme aujourd’hui, stabiliser le taux d’endettement nécessite un déficit public primaire (avant charges d’intérêts dues à la dette) égal à zéro. Et il faut un excédent primaire pour réduire ce taux d’endettement. Sinon la dette publique ne cesse d’augmenter et, plus le taux d’endettement public est élevé, plus le risque d’effet boule de neige de la dette augmente singulièrement. L’inquiétude sur la trajectoire d’endettement public peut en effet pousser vers le haut les « spreads », soit la prime de risque supportée par la dette, donc dégrader encore davantage la trajectoire, entrant ainsi dans un cercle vicieux. 

La France est loin de bénéficier d’une situation d’endettement stabilisée. Avec un taux de dette publique sur PIB très élevé de plus de 110% et une évolution de ce taux à la hausse très marquée (le taux était d’environ 20% en 1980), la France connaît un déficit primaire entre 3 et 4% du PIB, avec un taux d’intérêt sur la dette approximativement égal au taux de croissance nominale. Ce qui, sans correction, conduira tôt ou tard à une crise de refinancement. Si le taux d’intérêt de la dette venait en outre à être supérieur au taux de croissance nominal, de par une montée des taux d’intérêt généralisée ou du spread payé par la France ou de par une baisse du taux de croissance de l’économie française, l’effet boule de neige de la dette publique prendrait encore bien plus d’ampleur. 

Il faudrait ainsi réduire d’environ 100 milliards d’euros les dépenses publiques. Le faire trop vite conduirait à un ralentissement trop fort de la croissance et à une acceptabilité difficile. Le faire trop lentement conduirait à un nouvel accroissement dangereux de la dette publique, qui mettrait en risque la solvabilité du pays, ralentirait très probablement également la croissance par la crainte des épargnants et des investisseurs ainsi engendrée, enfin risquerait une crise financière qui contraindrait à réaliser les ajustements dans l’urgence et brutalement comme dans le cas de l’Espagne et du Portugal, par exemple, lors de la crise de la zone euro.

Ajoutons qu’eu égard au niveau comparativement très élevés des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires français sur PIB, il est beaucoup plus efficace économiquement de réduire les premières et de ne pas augmenter les seconds. La réduction des dépenses publiques contient en effet bien moins de risque de ralentissement économique, voire même pourrait favoriser la croissance, qu’une augmentation des impôts. Aussi, s’il semble élégant de dire que le choix entre réduction des dépenses et augmentation des impôts est un choix politique, ce n’est probablement pas pertinent en termes d’efficacité économique dans la situation spécifique de la France.

D’ailleurs, les inégalités de revenus après redistribution sont en France parmi les plus faibles d’Europe et le niveau de redistribution sur PIB déjà l’un des plus élevés. La réduction des inégalités de revenus en France n’est donc pas un objectif raisonnable, car il irait exactement en sens inverse du but poursuivi en abaissant encore une compétitivité déjà trop faible et une incitation au travail très améliorable, donc un taux d’emploi déjà insuffisant. Ce qui irait exactement à l’encontre des objectifs annoncés. 

Au total, la stabilisation, puis la réduction, du taux d’endettement public français est une condition sine qua non à la soutenabilité de notre protection sociale et de notre niveau de vie. Risquer de tomber sur le mur de la dette en refusant les réformes structurelles ou en revenant sur celles qui ont été réalisées serait risquer de nous mettre nous-mêmes dans l’obligation d’instaurer des politiques d’austérité très coûteuses socialement. Les mesures structurelles prises à temps sont en réalité l’antidote aux politiques d’austérité qui deviendraient inéluctables sinon. 

​​Rappelons pour terminer que si les États Unis, qui ont un taux d’endettement public très élevé et un fort déficit primaire, ne connaissent pas la même ardente obligation à ce jour, c’est qu’ils bénéficient jusqu’alors d’une dynamique économique bien plus élevée que la nôtre, d’un rendement du marché des actions et des taux d’intérêt plus élevés que les nôtres, ce qui attire les capitaux du monde entier. Enfin, ils ont la monnaie, le dollar, qui sert de monnaie internationale et les marchés de capitaux de loin les plus importants et profonds. Ainsi, n’ont-ils, jusqu’à présent, aucun mal à refinancer leur dette extérieure aussi bien que leur dette publique. Situation très différente donc de la française. Ce qui ne les exonérera pas pourtant ad vitam aeternam de devoir eux aussi corriger leur trajectoire de finances publiques.

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Conjoncture Economie Générale Politique Economique

« Augmenter les impôts provoquera la décroissance » : lamise en garde de l’économiste Olivier Klein

Le professeur à HEC Paris et directeur général de Lazard Frères Banque estime qu’un relèvement des prélèvements obligatoires, déjà parmi les plus élevés en Europe, produirait l’inverse de l’effet escompté.

Pendant sept longues années, cʼest une ligne rouge quʼEmmanuel Macron, ses Premiers ministres successifs et Bruno Le Maire, sʼétaient engagés à ne pas franchir. Mais à peine quelques jours après son arrivée à Matignon, Michel Barnier pourrait revenir sur cette promesse. Face à lʼurgence budgétaire, lʼancien commissaire européen envisagerait dʼappliquer des hausses dʼimpôts. Dans son viseur : les entreprises et les ménages les plus aisés. Une hypothèse qui a provoqué du remous au sein de sa propre famille politique, Les Républicains, et de lʼancienne majorité présidentielle.

« La situation budgétaire du pays que je découvre est très grave. Jʼai demandé tous les éléments pour en apprécier lʼexacte réalité. Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité », a déclamé Michel Barnier auprès de lʼAFP ce mercredi 18 septembre. Au point de prendre des décisions radicales et de rompre avec la politique de lʼoffre entreprise par le chef de lʼEtat depuis son arrivée au pouvoir ? Interrogé par LʼExpress, Olivier Klein, directeur général de Lazard Frères Banque et professeur dʼéconomie à HEC Paris, estime quʼune hausse des prélèvements obligatoires serait une erreur qui pèserait fortement
sur notre économie. Il plaide en revanche pour lʼactivation dʼautres leviers comme lʼinnovation et lʼinvestissement.

LʼExpress : Augmenter les prélèvements obligatoires serait-il, selon vous, une erreur ?

Olivier Klein : Le diagnostic est juste. Nous avons évidemment un déficit public et une dette publique trop élevés. Nous ne pouvons pas le nier et en prendre conscience est déjà très important pour pouvoir le traiter. La question est : comment le résoudre ? Nous avons à notre disposition plusieurs politiques : lʼaugmentation des prélèvements obligatoires, la baisse des dépenses publiques ou encore les réformes structurelles et lʼinvestissement dʼavenir pour augmenter le potentiel de croissance. On pourrait croire assez simplement que lʼon va faire une dose de chaque mesure afin de diminuer le déficit public, et que ce serait bon pour la
justice sociale. Or, cʼest ce que je mets en doute.

Pourquoi ?

En France, nous avons en ce moment un problème dʼoffre et non de demande, comme vient de le souligner le rapport Draghi pour lʼensemble de lʼEurope. Cela nʼa pourtant pas toujours été le cas et cela dépend des périodes. En France, en particulier, nous avons un déficit de compétitivité fort car la gamme des produits que nous fabriquons ne correspond pas aux prix auxquels ils sont vendus. Il y a deux manières de sʼajuster. Soit nous baissons les salaires et les prix, avec la même qualité. Mais nous touchons alors aux niveaux de vie, ce nʼest pas vraiment une solution à privilégier.

Soit nous faisons des réformes structurelles et des investissements dʼavenir pour favoriser lʼinnovation et améliorer la gamme de ce que nous produisons. Pour cela, il faut pouvoir faire en sorte que les entreprises aient suffisamment de bénéfices. Or, les taux de prélèvements obligatoires en France sont déjà parmi les plus élevés de la zone euro. Remonter les impôts des entreprises alors quʼelles doivent, au contraire, investir et améliorer lʼoffre, produirait lʼinverse des effets recherchés.

Quʼen est-il des ménages ?


Si les entreprises sont moins compétitives, le taux dʼemploi va inévitablement diminuer, alors quʼil avait réussi à remonter depuis sept ans grâce à la politique de lʼoffre mise en place par le gouvernement. Nous abîmerons alors le pouvoir dʼachat et lʼégalité des chances. A lʼarrivée, ce sont les finances publiques qui se retrouveront encore détériorées. Il y aura moins de production nationale, moins de résultats pour les entreprises et donc moins de revenus distribués. Nous allons entrer à nouveau dans le cercle vicieux dans lequel nous sommes depuis des dizaines dʼannées. Nous nous donnerons lʼillusion à court terme dʼavoir réduit le déficit public, tout en le détériorant deux ans plus tard.

Que vous inspire lʼexpression de « justice fiscale » employée par Michel Barnier ?

Avant de dire cela, il faut bien regarder les chiffres. Nous avons le taux de redistribution le plus fort parmi les pays de lʼOCDE. Il nʼy a pas de problème de justice fiscale. Il ne faut surtout pas accentuer le cercle vicieux. Travaillons plutôt sur lʼégalité des chances qui nʼest pas suffisante en France.
Ce nʼest pas le moment de baisser les impôts, ni de les monter encore parce que cela empirerait la situation dans laquelle nous sommes, à savoir un déficit commercial très fort et des prélèvements obligatoires parmi les plus élevés de la zone euro. Il faut avoir une vue dynamique de lʼéconomie. Ce nʼest pas un jeu à somme nulle. Attention à ne pas faire dʼerreur de diagnostic.

Une hausse temporaire des impôts, comme le préconise le gouverneur de la Banque de France, serait-il un bon compromis ?

Ce nʼest pas une décision économique, mais purement politique. A chaque fois que nous avons décrété que les impôts seraient temporaires, ils ont été maintenus. Très peu de gens croiront donc cela parce quʼils lʼont déjà vécu. Les Français se diront quʼil y a moins de pouvoir dʼachat et vont ainsi moins dépenser. Quant aux entreprises, elles investiront moins pour les mêmes raisons. Il ne faut pas que ça soit un prétexte pour ne pas agir sur les dépenses, qui est, je le reconnais, un exercice très compliqué.

Comment lʼexpliquer ?

Il faut savoir expliquer pourquoi, comment on le fait et accompagner les gens pour montrer quʼils ne sont pas forcément perdants. Cela met obligatoirement du temps. De plus, si on allait trop vite, cela jouerait négativement sur lʼéconomie. Quand certains économistes nous disent que le choix dʼaugmenter les impôts ou de baisser les dépenses relève dʼun choix politique, je pense quʼils reflètent insuffisamment la réalité économique. Dans la situation dans laquelle nous sommes en France, les conséquences pourraient se révéler divergentes. Baisser les dépenses régulièrement de façon engagée et pas de manière brutale aurait des vertus de croissance. Monter encore les impôts aura un effet de décroissance. Lʼeffet final sur lʼéconomie et les finances publiques sera donc très différent.

Le débat actuel autour des hausses dʼimpôts ne démontre-t-il pas, en réalité, notre incapacité à réduire durablement nos dépenses publiques ?

Jusquʼà présent, nous nʼavons pas abordé le problème de façon très solide et très sérieuse. Nous avons un taux de dépenses dʼéducation publique par rapport au PIB qui est plus élevé que la moyenne européenne. Or, nous voyons dans les études, comme le classement Pisa, que nous sommes en retard. De plus, les professeurs sont moins bien payés quʼen Allemagne, par exemple. Cʼest aussi le cas dans la santé, et idem pour le salaire des infirmières. Lʼorganisation doit être repensée et nous devons améliorer lʼefficacité de nos dépenses publiques. Il nʼy a que cela qui sera durable.

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Crise économique et financière Politique Economique

Finances publiques et justice sociale : attention à ne pas se tromper de diagnostic

C’est dans le développement du taux d’emploi, l’incitation au travail, la revalorisation de la valeur travail, la mobilité sociale, l’encouragement à l’entrepreneuriat, l’éducation (facteur décisif), l’innovation et la croissance qu’il faut trouver les solutions… Et non par des impôts supplémentaires sur les revenus du travail ou de l’épargne, pas plus que sur les entreprises

Corriger la mauvaise trajectoire de nos finances publiques est une nécessité devenue une priorité urgente. Pour éviter une crise de la dette publique, assurer l’indépendance de la France et retrouver une crédibilité, donc une réelle capacité d’influence au sein de l’Union Européenne. A cette fin, il est théoriquement envisageable d’augmenter les impôts et cotisations sociales, de baisser les dépenses publiques et de renforcer la croissance par des réformes structurelles et des investissements d’avenir.

Cependant, chacune de ces mesures, dans la situation spécifique de la France, ne produira le même effet et n’aura la même efficacité. Concentrons-nous ici sur l’augmentation des impôts, qui pourrait sembler, en première analyse, tout à la fois diminuer le déficit public et améliorer la justice sociale. La réalité est tout autre. Augmenter les impôts en France pourrait aggraver le cercle vicieux existant entre une redistribution très forte – en soi et comparativement aux pays semblables – et une inégalité des revenus avant redistribution relativement élevée. En dégradant encore le manque de compétitivité et l’insuffisance de notre offre et en réduisant ainsi la croissance et en abîmant in fine le niveau de vie de tous et la base imposable elle-même.

Manque de compétitivité. Voilà bien longtemps que le taux de prélèvements obligatoires connaît une tendance haussière en France pour atteindre plus de 43 % du PIB en 2023, soit l’un des plus élevés de l’Union européenne avec environ 6 points de plus que la moyenne de la zone euro. Avec des dépenses publiques en partie inefficaces (exemples : la situation des hôpitaux, de l’enseignement, la redondance des frais de fonctionnement administratif, etc.) et largement plus élevées elles aussi que la moyenne européenne – d’environ 8 à 10 points de PIB –, et ce pour un résultat moindre. Cet état de fait contribue au manque de compétitivité de notre offre, qui est bien actuellement le cœur du sujet.

De plus, après redistribution, les inégalités de revenus en France, mesurées par le rapport entre le revenu des 10% les plus aisés et celui des 10% les moins aisés ou encore par le taux de pauvreté relative, n’ont pas ou peu évolué depuis plus de 20 ans. Et sont parmi les plus faibles en Europe. L’indice Gini des inégalités post-redistribution quant à lui s’établit à 0,298, alors que l’Allemagne atteint 0,303 et que l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni connaissent des niveaux compris entre 0,320 et 0,354. Ajoutons encore que la part du revenu national après redistribution détenue par les 1 % les plus riches en France est également l’une des plus faibles à 7,17 %, contre 8,72 % en Suède, 10,32 % en Italie ou 14,35 % aux Etats-Unis. La France connaît de fait l’un des niveaux de redistribution les plus élevés de l’OCDE. Au total, en France, la redistribution réduit le rapport entre les revenus avant redistribution des 10% les plus aisés et ceux des 10% les moins aisés d’environ 20 à 9. Et ce rapport passe à 3 en y ajoutant l’effet des services publics, en comparant pour chacun le coût payé versus l’équivalent monétaire de ce qui est reçu en les utilisant. Les plus aisés payant davantage, de par la forte progressivité des impôts. Ainsi, 85% des personnes parmi les 30% les plus modestes reçoivent plus en termes de services publics qu’ils ne paient, contre 57% pour l’ensemble des personnes en France (étude de l’INSEE de 2023 sur la redistribution élargie).

Le taux marginal d’imposition des revenus des ménages s’élève à 55,2 %, contre 47,5 % en Allemagne. Il est plus élevé qu’en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas ou en Belgique, par exemple. Et le taux de taxation des revenus du capital reste encore supérieur à la moyenne européenne malgré les baisses récentes fort utiles à l’économie française, ce qui a été bien documenté.

Ignorer cela dans la construction des programmes économiques est évidemment source de propositions inadéquates et dangereuses pour l’économie et in fine pour les moins aisés.

Inégalité des chances. La vraie justice sociale, eu égard à la réalité française, est de s’attaquer à l’inégalité des chances qui, elle, est comparativement assez élevée par rapport à la moyenne européenne. Et c’est dans le développement du taux d’emploi, l’incitation au travail, la revalorisation de la valeur travail, la mobilité sociale, l’encouragement à l’entrepreneuriat, l’éducation (facteur décisif), l’innovation et la croissance qu’il faut trouver les solutions … Et non par des impôts supplémentaires sur les revenus du travail ou de l’épargne, pas plus que sur les entreprises. Augmenter encore et toujours la redistribution, au niveau particulièrement élevé où nous sommes, c’est aggraver le mal, en induisant moins de compétitivité, donc moins de production et moins de croissance. Le risque est très fort au total de provoquer plus d’inégalité de revenus avant redistribution et plus d’inégalité des chances. Et de ne pas améliorer la soutenabilité de nos finances publiques, voire de la détériorer encore. L’histoire française des dernières décennies témoigne de cette boucle non vertueuse. L’économie, de même que les revenus, est en fait une dynamique, pas un jeu à somme nulle. Les études sérieuses sur longue période le montrent sans ambiguïté.

Restent donc l’action sur la baisse progressive des dépenses publiques (bien choisies et bien conduites) par rapport au PIB, ainsi que les réformes structurelles et les investissements d’avenir pour augmenter la compétitivité de notre offre et notre potentiel de croissance, et du même coup favoriser la justice sociale et rétablir la soutenabilité de nos finances publiques. Et ainsi protéger durablement le bien précieux que sont le niveau des revenus et la protection sociale en France.

Ne confondons pas les effets et les causes.

Olivier Klein est directeur général de Lazard Frères Banque et associé gérant. Il est également professeur de macroéconomie financière et de politique monétaire à HEC

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Conjoncture Economie Générale Politique Economique

Abroger la réforme des retraites serait dangereux

Les Échos , 5 septembre 2024  

La reforme des retraites a été critiquée pour avoir été mal préparée et mal négociée. Soit. Pour autant, l’abroger serait très dangereux eu égard à la fragilité de nos finances publiques et à l’absolue nécessité de les redresser. Tout signe d’aggravation de la situation pourrait déclencher une grave crise de financement de la dette française. Aussi, l’abrogation de cette réforme serait-elle comprise par les épargnants et les marchés comme irresponsable. Les dépenses publiques de retraite sur PIB représentent en 2022 déjà en effet 14,4 % en France, contre 11,9 % en zone euro.

Mais l’abrogation serait également très défavorable économiquement aux Français (pour les ménages ou les entreprises) et, en fin de compte, pénaliserait l’emploi et le pouvoir d’achat. Les seuls moyens possibles d’assurer l’équilibre des régimes de retraites par répartition sont en effet, primo, de baisser le niveau des retraites, ce qui n’est évidemment bon ni pour les retraités ni pour l’économie.

Secundo, d’augmenter les cotisations sociales. Pour les salariés, cela provoquerait une perte de pouvoir d’achat et une pression baissière sur la demande. Pour les entreprises, sachant que ces cotisations sociales sur PIB sont déjà de 50 % plus élevées en France qu’en Allemagne, cela reviendrait à réduire leur compétitivité et entraînerait une pression baissière sur l’emploi et les salaires.

Troisième et dernière solution : moduler la durée de la vie active en fonction de l’évolution de la démographie. Les mesures d’âge (âge de départ à la retraite ou, mieux, nombre d’annuités), aménagées bien entendu suivant la pénibilité du travail de chacun, sont seules à même de rendre compatibles l’intérêt des retraités actuels ou futurs et la recherche du meilleur potentiel de croissance de l’économie, de l’emploi et du pouvoir d’achat. D’autant plus qu’encore aujourd’hui, beaucoup d’entreprises ne peuvent atteindre tout leur potentiel de croissance en raison d’un manque de main-d’oeuvre, qualifiée ou non.

Rappel : en France, nous avions 4 cotisants pour 1 retraité en 1960. En 2010, 1,8 cotisant seulement pour 1 retraité et ce sera 1,2 en 2050. Dans le même temps, en 1958, l’espérance de vie à l’âge de la retraite était de 15,6 ans pour les femmes et de 12,5 ans pour les hommes. En 2020, ces chiffres atteignent respectivement 26,9 ans et 22,4 ans… L’âge de départ à la retraite est pourtant moins élevé aujourd’hui qu’en 1958 !

L’espérance de vie en bonne santé après la retraite a également considérablement progressé. En France, seuls 30 % environ des personnes de 60 à 64 ans travaillent, alors que dans les autres pays de la zone euro, ils sont presque 50 % (57 % en Allemagne, 68 % en Suède).

Tous les pays voisins ont effectivement remonté, pour les mêmes raisons et par réalisme, l’âge de la retraite, en le plaçant de 65 à 67 ans. Le principe de réalité doit aussi, enfin, nous saisir , pour que notre système de retraite par répartition ne soit pas mis en danger par l’incapacité à le financer. La réforme discutée, même si insuffisante, va dans le bon sens. Il est toujours possible de l’amender quelque peu, mais attention de ne pas ouvrir la boîte de Pandore…

Enfin, deux réflexions. Tout d’abord, le travail n’est pas seulement nécessaire économiquement, il est aussi le plus souvent un moyen d’intégration, de socialisation et de réalisation de soi. Facilitons donc le travail des plus de 60 ans et incitons les entreprises à les conserver, voire à les embaucher. La seconde : le travail n’est pas à partager parce qu’il serait en quantité finie. C’est une vue statique et erronée de l’économie qui conduit à penser ainsi. Le travail crée le travail dans une dynamique où l’offre et la demande se nourrissent réciproquement. Tous les travaux empiriques le confirment.

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Conjoncture Economie Générale Politique Economique

Inflation, fin de partie ?

Après avoir surpris par sa vigueur, l’inflation, due à un choc de demande -qui a rebondi très fortement une fois les confinements terminés- et à un choc d’offre -violemment réduite pendant la pandémie-, semble revenir progressivement à des niveaux raisonnables. Les causes de ce repli sont à mettre du côté d’une remontée progressive des capacités de production mondiales et à la baisse du surcroît de demande, par l’épuisement progressif de l’excès d’épargne engendré par les confinements. Mais la désinflation a été également engendrée par une politique monétaire très réactive et très coordonnée internationalement ainsi qu’à la forte crédibilité des banques centrales qui ont affiché une grande détermination à vouloir faire revenir l’inflation à sa cible. Ce qui a permis que les anticipations d’inflation des différents acteurs économiques -entreprises comme ménages -ne se désancrent pas. Ajoutons que jusqu’à présent, à l’encontre de nombre de prévisions justifiées par des données historiques, nous avons assisté à un atterrissage en douceur de l’économie (soft landing), c’est-à-dire sans récession et sans choc financier systémique. La partie est-elle donc gagnée ? Bien possible. Plusieurs points doivent cependant nous faire rester prudents quant à ce diagnostic.

Les salaires ont évolué ces derniers temps à un rythme qui reste élevé (entre 4 et 5% par an). Or, en zone euro, les gains de productivité quasi-nuls ne permettent pas de compenser cette évolution. Les marges des entreprises sont donc en jeu. En zone euro toujours, c’est la baisse des prix des importations qui a permis d’assurer une grande partie de la désinflation. Mais peuvent-ils continuer à baisser davantage ? Et les prix des services augmentent toujours rapidement. Par ailleurs, jusqu’alors, la forte augmentation des taux d’intérêt dans un contexte pourtant de dettes publiques et privées historiquement très élevées, n’a pas produit le choc financier craint. N’avait-on pas pourtant parlé de possible « tempête parfaite » à ce sujet ? Quelques raisons à ce non-évènement : l’utilisation du surcroît d’épargne et les politiques de protection contre l’inflation ont nourri la croissance qui aide à surmonter la hausse des coûts de l’endettement.

La réglementation bancaire, fortement resserrée depuis la dernière grande crise financière (2007-2009), a globalement réussi à sauvegarder les banques. Les entreprises, profitant des taux très bas précédant le retour de l’inflation, avaient allongé leurs crédits et les avaient contractés plutôt à taux fixe. Toutefois, gardons à l’esprit quelques éléments incitant là aussi à la prudence. Le secteur immobilier professionnel, dans la bulle immobilière précédant la pandémie, avait pu connaître ici et là des excès d’endettement, d’où des insolvabilités commençant à se manifester. Beaucoup d’entreprises de tout secteur, parfois à fort levier, auront à refinancer leurs crédits dès 2024 et ces toutes prochaines années. De nombreux États eux-mêmes, très endettés, auront progressivement à supporter des charges d’intérêt en forte hausse qui viendront entrechoquer leurs trajectoires de solvabilité.

La sensibilité des marchés financiers à ce type de situation pourrait ainsi s’élever notoirement et peut-être brutalement. De plus, les banques centrales auront certainement à cœur de ne pas reproduire de phases de taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps, phases qui affaiblissent la stabilité financière. Et elles désireront conserver des marges de manœuvre pour faire face aux futures crises systémiques. L’inflation, qui plus est, pour des raisons structurelles, ne sera plus aussi basse que pendant les 30 dernières années. Nous devrions donc avoir changé de régime de taux d’intérêt pour longtemps, retrouvant des taux plus normaux, c’est-à-dire plus proches des taux de croissance nominaux. Aussi, si la situation jusqu’alors s’est révélée être un atterrissage réussi de l’inflation sans dommage majeur sur l’économie, pour éviter un choc de forte ampleur encore possible, c’est aux acteurs économiques privés et publics, appuyés sur des règles macro prudentielles bien fixées par les autorités, de s’adapter avec vigueur pour assurer la soutenabilité de leur solvabilité et de leur croissance.

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Finance Politique Economique

Le cercle vicieux français des hausses d’impôts

La hausse d’impôts n’est pas la solution, seule une politique de réformes, une bonne maîtrise de nos finances publiques, des investissements d’avenir nous permettront de préserver notre niveau de vie et de protection sociale, écrit Olivier Klein.

Voilà bien longtemps que le taux de prélèvement obligatoire connaît une tendance haussière en France pour atteindre plus de 43 % du PIB en 2023, soit le plus élevé de l’Union européenne (environ 6 points plus élevés que la moyenne de la zone euro). Le taux marginal d’imposition des revenus des ménages s’élève à 55,2 %, contre 47,5 % en Allemagne. Il est plus élevé qu’en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas ou en Belgique, par exemple.

Le taux de taxation du capital reste encore supérieur à la moyenne européenne malgré les baisses récentes fort utiles à l’économie française, ce qui a été bien documenté. Quant aux entreprises, malgré les efforts des dernières années, elles sont soumises à des impôts de production supérieurs de plus de 2 points du PIB à la moyenne de la zone euro et de presque 4 points par rapport à l’Allemagne.

Faute de maîtriser les dépenses publiques (notamment de fonctionnement), le déficit public est souvent resté élevé, y compris en 2023, où il a été l’un des plus forts de la zone euro. Les effectifs de la fonction publique, par exemple, approchaient en effet 6 millions de personnes en fin 2023, en hausse constante (33 % de plus qu’en 1990), avec une part totale très élevée dans l’emploi total (plus de 21 %). Or il n’y a pas de corrélation positive à long terme entre l’accroissement des dépenses publiques et la croissance économique.

Un des niveaux de redistribution les plus élevés de l’OCDE

L’augmentation des prélèvements sur les ménages ne peut pas avoir non plus pour raison de lutter contre l’inégalité de revenus. Après redistribution, cette dernière est en France l’une des plus basses en Europe. L’indice Gini des inégalités post-redistribution s’établit à 0,298, alors que l’Allemagne atteint 0,303 ; l’Espagne, l’Italie et le Royaume-Uni s’élèvent à des niveaux compris entre 0,320 et 0,354. En outre, le niveau d’inégalité en France reste sensiblement stable depuis 1990. La France connaît de fait l’un des niveaux de redistribution les plus élevés de l’OCDE. Ajoutons encore que la part du revenu national après redistribution détenue par les 1 % les plus riches en France est également l’une des plus faibles après redistribution à 7,17 %, contre 8,72 % en Suède, 10,32 % en Italie ou 14,35 % aux Etats-Unis. De même, le taux de pauvreté y est inférieur à la moyenne européenne.

Ainsi, l’augmentation des prélèvements obligatoires, comme du niveau de la redistribution, serait contre-productive, conduisant à des effets contraires à ceux recherchés tant sur l’emploi que sur la croissance. La course sans fin entre les dépenses et les prélèvements publics nettement plus élevés chez nous qu’ailleurs n’a cessé de provoquer une hausse de l’endettement, qui désormais atteint des niveaux inquiétants. Rappelons qu’entre 2000 et 2022, la dette publique française a crû deux fois plus rapidement que celle de la zone euro. Le résultat est une fragilisation de plus en plus forte de l’économie française, sans gains en matière de croissance relative.

Politique de réformes

Plus d’impôts encore, au-delà d’un seuil déjà élevé, conduirait à affaiblir notre compétitivité et notre attractivité, donc notre taux d’emploi, qui est pourtant déjà faible en comparaison de celui des pays du nord de l’Europe. Ce qui induirait à son tour plus d’inégalités avant redistribution, l’emploi étant décisif en la matière. Conduisant ainsi à élever à nouveau le taux de redistribution, donc à provoquer à nouveau plus de prélèvements. Le cercle vicieux est bouclé.

Seule une politique de réformes, une bonne maîtrise de nos finances publiques (notamment des dépenses de fonctionnement), des investissements d’avenir permis par une réallocation de nos dépenses publiques, nous permettront de préserver notre niveau de vie et de protection sociale. Ne pas le comprendre conduirait très vite à décourager le travail et les talents, à abîmer une compétitivité déjà insuffisante, donc à aggraver les inégalités des chances et à produire massivement de la pauvreté.