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« L’union européenne des marchés de capitaux, utile mais pas suffisante ! » – la tribune d’Olivier Klein

« Le projet d’union européenne des capitaux gagnerait à être complété par l’implémentation de réformes dans les pays du Sud (France incluse) et par une impulsion européenne sur le dynamisme de l’économie », estime Olivier Klein, directeur général de Lazard France Banque, professeur d’économie à HEC

Ne surestimons pas le caractère décisif du changement souhaité par le projet de l’union européenne des marchés de capitaux. Le réinvestissement de la capacité (surplus) de financement de l’Union Européenne en Europe même, plutôt qu’aux États-Unis, en résultera-t-il de façon certaine ? En effet, avant la crise idiosyncratique de la zone euro, débutant en 2010, les capacités de financement des pays du Nord venaient bien financer les besoins de financement des pays du Sud de la zone avec, pourtant, une organisation des marchés financiers telle qu’elle est encore aujourd’hui.
Les mesures proposées en faveur de l’union des marchés de capitaux, par Christian Noyer par exemple, me paraissent très utiles. Mais pas un « game changer ». Aujourd’hui, on peut investir librement sur chaque bourse européenne ou financer des entreprises européennes par le biais de dépôts dans les banques ou de placement dans des fonds de dette ou de private equity… Certes, un marché plus intégré, plus harmonisé, supervisé plus européennement, donnerait plus de profondeur, de liquidité aux marchés financiers européens. Ils deviendraient donc plus attractifs. L’unicité du marché européen protégerait en outre mieux les épargnants en les sécurisant davantage. Donc, ce serait indéniablement un plus significatif, mais pas suffisant pour assurer le recyclage des excédents d’épargne de certains pays européens en Europe même. Pourquoi ? Comment s’en assurer avec plus de certitude ?

Deux éléments seraient aptes à déclencher un changement d’orientation géographique de l’excédent d’épargne européenne. D’une part, l’implémentation de réformes dans les pays du Sud (France incluse) visant à ne pas connaître de déficits publics forts en permanence et à s’approcher progressivement du niveau de dette publique sur PIB des pays du Nord. Cela permettrait l’acquisition d’une crédibilité des finances publiques durable. Ce qui permettrait de progresser significativement dans la solidarité réelle et structurelle entre les pays de la zone. Et de favoriser ainsi le « risk sharing » entre pays européens. Donc la confiance des épargnants-investisseurs du Nord dans la soutenabilité de la dette des pays du Sud.

Les investisseurs des pays du Nord ont en effet cessé d’investir dès 2010 leurs excédents courants pour financer les besoins de financement des pays du Sud, lorsqu’ils ont compris que la solidarité n’était pas automatique. Et ils rechignent encore très fortement à assurer une telle solidarité, craignant que la fourmi n’ait à aider les cigales toute l’année et ce, chaque année. Ainsi, aujourd’hui les soldes des balances courantes du Sud sont à zéro +, depuis la sortie de la crise de la zone euro, parce qu’un déficit courant pourrait leur être difficile à financer. Et les excédents du Nord sont placés essentiellement aux États-Unis…

Aujourd’hui, les excédents du Nord de l’Europe sont essentiellement placés aux États-Unis…

D’autre part, ⁠une impulsion européenne pour un plus grand dynamisme de l’économie européenne et une croissance schumpétérienne favorable à l’innovation. Impulsion passant par des incitations à élever le niveau de R&D, par des subventions bien mesurées et ciblées et des garanties partielles sur des investissements bien sélectionnés, par des investissements publics-privés, par des incitations à l’innovation et à l’industrialisation dans les secteurs des industries du futur, etc.

Développer une culture du risque et non une religion de la précaution

De même, une réglementation non naïve ( CSDR, concurrence, vert …) et prenant en compte la compétitivité de nos industries, ainsi qu’une fiscalité appropriée, enfin le développement d’une culture du risque et non une religion de la précaution, signe de notre vieillissement, devraient permettre également que les épargnants et leurs représentants (les investisseurs institutionnels) aient envie d’investir davantage dans de nombreux projets d’avenir en Europe, parce qu’ils offriraient de belles perspectives de rentabilité.

Ces deux éléments ne sont pas contradictoires, plutôt complémentaires et non opposables, avec le projet d’union européenne des capitaux. Mais ils semblent plus décisifs. Privilégier ou même ne se focaliser que sur l’union des capitaux hypertrophierait symboliquement le rôle de la finance et entraînerait le risque de fortes déceptions ultérieures. Les bons projets n’ont pas de mal à se financer.

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Le modèle européen sera insoutenable sans réformes

Les constats sur moyenne période quant aux performances économiques de l’Europe imposent une réflexion critique. Et les anticipations quant aux difficultés à venir nécessitent de penser les réformes à mettre en place très rapidement pour protéger le niveau de vie et de protection sociale européen, bien commun inestimable mais insoutenable sans changement en profondeur.

Quelques données. Sur les 20 dernières années (2002-2023), le taux de croissance économique cumulée des Etats-Unis s’est élevé à 60 %. Celui de la zone euro à 30 %. La consommation des ménages américains a progressé de 60 %, celle des Européens de 20 %. Le taux de recherche et développement privé et public américain a dépassé d’environ un point le PIB européen depuis 20 ans, etc. Ainsi, les gains de productivité ont-ils crû de plus de 45 % aux Etats-Unis contre 10 % en zone euro. De 2019 à 2023, ils ont progressé de 1,7 % l’an aux Etats-Unis et de 0,3 % en zone euro (-0,8 % en France). Or la population en âge de travailler croît d’environ 0,2 % par an aux Etats-Unis alors qu’elle baisse d’environ 0,5 % par an en zone euro. Elle baissera de 0,8 % vers 2030, le pourcentage de la population de plus de 65 ans ne cessant d’augmenter (22 % aujourd’hui, 26 % en 2030).

Pour faire face à cet effet démographique négatif et protéger le niveau de vie européen, il serait indispensable de connaître plus de croissance, donc plus de gains de productivité. L’innovation, la recherche-développement, la robotisation devraient être très largement encouragées. D’autant que l’Europe n’est pas bien placée dans les industries stratégiques du futur: éoliennes, panneaux voltaïques, batteries électriques, voitures électriques, industries de la quatrième révolution technologique…

Il nous faut donc changer de paradigme en facilitant bien davantage la croissance schumpétérienne, par destruction créatrice. En repensant le poids de la réglementation qui, en Europe, est toujours supérieure à celle du reste du monde. En accroissant la mobilité du travail et de celle des capitaux. En luttant contre la baisse de la qualité et de l’efficacité de l’enseignement. En maîtrisant et en allouant mieux les dépenses publiques… En effet, une croissance potentielle européenne de l’ordre de 0,5 à 1 %, résultant de gains de productivité proches de zéro, d’une démographie déclinante et d’un ralentissement de l’élévation du taux d’emploi, ne pourra en aucun cas assurer la persistance de la prospérité économique européenne.

Une immigration qualifiée permettrait également de résoudre cette difficile équation ; aux Etats-Unis, l’immigration ayant, au total et en moyenne, un niveau d’éducation supérieur à celui de la population résidente. Enfin, une augmentation de la quantité de travail (nombre d’heures travaillées dans la vie comme nombre de personnes travaillant en pourcentage de la population), avec une moindre désaffection culturelle pour le travail, sera indispensable.

La préférence des Européens, comme de leurs institutions, pour la précaution contre le risque, de même que l’extension permanente des droits sans les accompagner de celle des devoirs, ne sont pas soutenables, sauf à risquer un déclin inexorable. Une certaine naïveté stratégique doit céder la place à un pragmatisme éthique. L’éthique sans l’efficacité ne peut subsister bien longtemps. L’Europe ne peut longuement encore supporter sans danger la critique que Péguy faisait du kantisme : avoir les mains pures, mais ne pas avoir de mains du tout. Pour préserver l’essence même de ce qui a fait l’Europe d’après-guerre, il faut donc d’urgence changer notre logiciel. Reste à bien penser les réformes institutionnelles, celles du mode de régulation de l’Europe elle-même, pour permettre ce sursaut et lui permettre de conserver sa place dans le monde.

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La fatigue des démocraties

La rivalité systémique Chine-Etats-Unis, l’apparition d’un « Sud global » lui-même bien disparate, la guerre en Ukraine… Les manifestations les plus criantes de la fragmentation géopolitique et économique du monde sont la multiplication depuis 2010 des conflits militaires internationaux par presque quatre, celle du nombre des pays soumis à des sanctions financières par un peu moins de trois ou encore celle des mesures protectionnistes dans le monde par six.

Cette fragmentation géopolitique s’accompagne ainsi d’une fragmentation économique, bien qu’à un rythme plus lent. Les deux menaçant la paix et la sécurité – le bruit du monde nous le rappelle tristement chaque jour – et les bienfaits d’une liberté organisée du commerce et des mouvements de capitaux. Rappelons-nous que le taux de la population mondiale pauvre (en dessous du niveau minimal de subsistance) est passé de 40 % en 1980 à environ 10 % ces dernières années.

Le jeu des puissances est revenu au centre de la scène mondiale. La Chine veut retrouver une place prédominante, après une longue période d’effacement géopolitique. Les Etats Unis ne veulent pas perdre leur position de première puissance mondiale. La Russie, après la fin pacifique de l’Union soviétique, est mue par son complexe historique d’encerclement et d’insuffisante prise en considération de sa « juste » place dans le concert des grandes puissances. Le rejet du « deux poids, deux mesures » mobilise les populations des pays émergents comme leurs dirigeants.

La défiance est donc considérablement montée entre les pays émergents et l’Occident, l’Occident qui servait jusqu’alors de modèle et qui donnait le « la » de la régulation mondiale. D’où l’actuelle déficience des modes mêmes de cette régulation mondiale : l’ONU, l’OMC, etc., mais aussi les mécanismes de coordination usuels bilatéraux plus ou moins formalisés. La fragmentation du monde semble bien en marche.

Mais nous assistons aussi parallèlement à une autre fragmentation. Au sein même des démocraties occidentales, avec une montée des populismes et des extrêmes. Les démocraties semblent fatiguées. Comme l’écrivait Cioran : « Une civilisation débute par le mythe et finit par le doute. »

Le développement du wokisme en est tout à la fois une manifestation et une cause. La recherche de l’extension illimitée des droits de chacun, dans tous les domaines, sans jamais les associer aux devoirs symétriques qui pourraient les permettre, induit l’éventualité d’une ruine morale, une perte de tout sens civique. Et la possibilité d’une ruine financière, avec un financement à bout de souffle d’un système de protection sociale, pourtant essentiel. Ici encore, la montée de la défiance en résulte, renforçant la fragmentation. Défiance vis-à-vis de l’Etat, des institutions, des autres même.

Et, ici ou là, la montée de la défiance vis-à-vis de la démocratie elle-même. Le wokisme finit par nourrir la montée du populisme, qui se targue de vouloir rétablir les valeurs fondamentales, tout en proposant une logique illibérale, tant économiquement que politiquement. Ce jeu des contraires pousse à une fragmentation encore plus forte, voire potentiellement violente, de la société.

Cette fatigue apparente de la démocratie ne peut que donner peu d’envie aux autres civilisations. La fragmentation des sociétés occidentales nourrit ainsi pour partie la fragmentation du monde et la montée d’une défiance généralisée. Parallèlement, la montée des régimes autocratiques dans les pays émergents induit à son tour une méfiance justifiée de la part des pays occidentaux.

Saura-t-on recréer le degré de confiance en soi comme en les autres et les modes de coordination nécessaires pour ne pas développer encore davantage la logique du chacun pour soi des individus et des pays ? Saura-t-on éviter la violence primitive toujours justifiée par la violence anticipée de l’autre ? Pourra-t-on revivifier la démocratie et assurer son équilibre pour protéger ce bien précieux ? Pour éviter la dynamique mortifère de la défiance et les conséquences multiformes délétères de la fragmentation.

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Dette et déficit publics : comment éviter le précipice

5,5 % du PIB en 2023 : le taux de déficit public français s’affiche à un niveau inattendu et comme l’un des plus élevés de l’Union européenne. Pourquoi est-ce un sérieux problème ? Quelles sont les possibilités de sortir d’une impasse dans laquelle le France s’enfonce depuis longtemps ?

Un déficit peut être souhaitable lorsque la politique budgétaire joue son rôle contracyclique lors de récessions, par exemple. Toutefois, si la croissance française et européenne s’est avérée faible en 2023, la récession crainte du fait de la remontée historique des taux d’intérêt ne s’est pas produite. Après les années de déficits publics très élevés (6,6 % en 2021 et 4,8 % en 2022), il était espéré que celui de l’année passée s’établirait à un niveau bien moindre et que sa décrue soit programmée et crédible pour les années suivantes. La France enchaîne sans discontinuer les déficits publics depuis 1974, or, empiriquement, il n’y a pas de corrélation positive à long terme entre les déficits publics et le taux de croissance.

Si le taux d’endettement public était faible, ou même moyen, quelques années de déficits publics à des niveaux élevés ne seraient pas dangereuses. Mais notre endettement public (système de protection sociale inclus) dépasse les 110 %. Notre déficit primaire (avant paiement des intérêts de la dette) s’approche de 4 % du produit intérieur brut (PIB). Notre croissance potentielle est faible et le taux d’intérêt réel long terme est devenu légèrement positif. Nous sommes sortis durablement de la période de taux bas. L’argent gratuit ayant disparu, le coût de l’endettement public est passé de 34 milliards d’euros en 2020 à plus de 50 milliards en 2023 et atteindra plus de 70 milliards en 2027. Il n’y a plus d’argent magique. Cette combinaison très défavorable pourrait ainsi nous amener à connaître un effet boule de neige de la dette publique, qui consiste à emprunter davantage encore pour payer les intérêts de la dette elle-même, dans une croissance sans fin et très déstabilisante de la dette publique. Le taux de la dette publique française s’élevait à 20 % du PIB en 1980, à 60 % en 2000 (idem en Allemagne) et 110,6 % en 2023 (contre environ 65 % en Allemagne). Enfin, si le taux d’endettement public a monté de 25 points de PIB environ pour l’ensemble de la zone euro depuis 2000, il a monté de 50 points pour la France, soit du double.

Il existe des possibilités de sortir de l’impasse, à l’abri certes de l’euro qui nous a protégés dès 2000, mais qui pourrait tôt ou tard ne plus suffire.

Pas de marge de manœuvre

L’annulation de la dette détenue par la banque centrale est non seulement hautement périlleuse, mais en outre inutile car les intérêts perdus par l’autorité monétaire le seraient à l’identique par l’État qui reçoit en recettes les résultats de l’institut d’émission.

La montée des impôts serait une solution si la France ne connaissait déjà un taux de prélèvement obligatoire (43,5 % du PIB en 2023) parmi les plus élevés dans le monde. Mais aujourd’hui, cela conduirait à ralentir la croissance et à détériorer tôt ou tard encore déficit et dette. Et dégrader encore davantage le taux d’emploi. Soit, retomber dans le cercle vicieux français. Cette recette ne peut fonctionner que lorsqu’il existe une marge de manœuvre. Ce n’est plus le cas pour la France.

Le taux d’imposition des revenus pour plus de la moitié des ménages est nul en France et les taux sont plus faibles que dans le reste de la zone euro pour les premières tranches du barème. Mais le taux marginal sur les revenus des ménages s’élève en France à 55,2 % contre 47,5 % en Allemagne ; il est également plus élevé en France qu’en Italie, en Espagne, aux Pays-Bas ou en Belgique. Il ne semble donc guère faisable de provoquer encore davantage de distorsions en augmentant les barèmes des ménages les plus aisés. Le taux de taxation du capital, quant à lui, reste encore supérieur à la moyenne européenne. En outre, le niveau d’inégalité des revenus en France est l’un des plus bas européens.

Les entreprises, quant à elles, malgré les efforts des dernières années connaissent encore des prélèvements bien au-dessus de leurs concurrents européens : les impôts sur la production, par exemple, sont encore en 2022 supérieurs de 2,4 points de PIB par rapport à la moyenne de la zone euro et de 3,7 points par rapport à l’Allemagne.

En 2022, le taux de prélèvement obligatoire était de 6,1 points de PIB supérieur au taux moyen de la zone euro. Il est le plus élevé de l’Union européenne. L’arme budgétaire peut être d’une grande utilité, mais seulement si l’on est capable de la recharger régulièrement.

Baisser significativement le niveau des dépenses publiques par rapport au PIB est ainsi souhaitable lorsque l’on atteint ces sommets. Dans le cas de la France, il faudrait procéder notamment à une réingénierie de l’organisation territoriale comme de la gestion des services publics. Ce qui ne peut que prendre du temps et provoquer des mécontentements. Pourtant, la nécessité en est grande et la méthode du rabot très limitée en efficacité.

Cependant, il n’est pas raisonnable, avec une croissance bien faible, de procéder à une baisse rapide et indifférenciée des dépenses publiques car elle peut engendrer à court terme une récession qui aurait des effets négatifs sur les déficits eux- mêmes. Stabiliser leur niveau en volume et les réallouer est en revanche particulièrement souhaitable. Et en améliorer fortement leur efficacité. En associant les salariés des services publics (y compris ceux de la sécurité sociale au sens large) pour leur en montrer les bénéfices qu’ils pourraient eux-mêmes en tirer. En travaillant administration par administration et transversalement par thème, sereinement mais sans tergiverser ni procrastiner. Avec l’appui des outils numériques, entre autres, c’est possible sans dégâts humains. Le dire et le faire de façon crédible s’impose. La crédibilité est, en effet, clé pour la stabilisation financière.

Au moins trois leviers

Cela peut-il suffire ? Non. Deux leviers supplémentaires sont nécessaires, à jouer conjointement avec le précédent, et à annoncer publiquement, en affichant une détermination sans faille et une programmation claire. Il y va de la crédibilité indispensable des pouvoirs publics pour convaincre l’ensemble des parties prenantes.

Poursuivre les réformes structurelles qui permettent d’augmenter la croissance, soit accroître la quantité de personnes disponibles au travail et augmenter les gains de productivité. Le surplus de croissance engendrée permettrait de soulager le taux de déficit et l’endettement public par la hausse du dénominateur.

Mais face au retard français et européens en termes d’innovations technologiques et d’industries du futur, ces seules actions ne suffiraient à nouveau probablement pas.

Le développement de programmes du type de l’IRA américain, adossé à une politique industrielle bien pensée serait incontournable, mais illusoire avec l’endettement actuel. Il est également probablement illusoire de penser que l’Union européenne accepterait de lancer un second emprunt commun semblable à celui lancé pendant la pandémie.

Seule la concomitance de ces trois axes d’actions peut éviter une catastrophe prévisible. Il faut allier les investissements de croissance et de compétitivité dont le financement serait gagé sur une baisse récurrente des dépenses de fonctionnement par rapport au PIB, la plus grande efficacité des services publics (dans la santé, comme dans l’éducation par exemple, les dépenses publiques françaises sur PIB sont parmi les plus hautes en Europe, avec pourtant une forte dégradation ressentie comme mesurée) et l’amélioration de la croissance potentielle grâce aux réformes structurelles.

La dette publique, lorsqu’elle n’est plus soutenable, entraîne les pires conséquences économiques et sociales. Le désordre monétaire et financier dû à un endettement trop longtemps excessif et non soutenable peut induire brutalement des ruptures dans la confiance des citoyens, comme des marchés financiers internationaux (les investisseurs étrangers financent plus de 50 % de l’endettement public français). Et à défaut d’une rupture brutale, un endettement non maîtrisé peut conduire à un déclin inexorable, dont les conséquences économiques et sociales sont, in fine, tout aussi mauvaises, sinon brutales. Seul l’engagement d’une conduite claire et programmée des trois plans d’actions ici décrits, bref seule la présentation d’une trajectoire lisible et crédible, car solidement étayée, semble pouvoir éviter un tel risque.

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Fragmentation du monde, vers une dédollarisation ?

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Annulation de la dette publique : fausse solution et vrai danger

La dette publique a crû de façon inquiétante tant dans les pays avancés que dans les pays émergents. Sa montée a été facilitée par la politique d’assouplissement quantitatif (avec des taux d’intérêt inférieurs aux taux de croissance et l’achat d’obligations publiques) des banques centrales, qui détiennent en zone euro environ 30 % de son encours actuel et ont financé plus de 60 % de son accroissement depuis 2008. Or, aujourd’hui, les taux d’intérêt ont fortement crû, eu égard au retour de l’inflation mais aussi à une certaine normalisation de la politique monétaire. En France, les intérêts de la dette publique s’élèveront à plus de 50 milliards d’euros en 2023, à plus de 70 milliards en 2027.

La sortie « par le haut » d’un tel niveau d’endettement public est nécessairement très étroite, sachant qu’en France le niveau d’imposition sur PIB est déjà sur le podium des pays de l’OCDE. Il s’agit donc d’améliorer structurellement le taux de croissance par des réformes permettant d’accroître tant les gains de productivité que la population disponible au travail. Et de réallouer les dépenses publiques – pas exclusivement celles de l’Etat – le plus efficacement possible, tout en engendrant, sans politique d’austérité, un excédent primaire (avant paiement des intérêts de la dette) du budget.

Certains, notamment en France, poussent l’idée bien plus attrayante, car apparemment facile et sans effort, d’une annulation totale ou partielle de la dette publique détenue par les banques centrales. Censée alléger considérablement la contrainte de solvabilité des acteurs publics, cette annulation est en réalité interdite par les traités en zone euro, et surtout inefficace et dangereuse pour la stabilité financière.

Une mesure vaine

Attachons-nous à son inutilité réelle, pas toujours bien comprise. Les comptes des banques centrales, le plus souvent filiales des Etats, doivent être analysés une fois consolidés avec ceux des Etats.

D’ailleurs, leurs résultats sont versés sous forme de dividendes et sont ainsi directement contributifs au budget. Si les banques centrales acceptaient d’annuler les obligations émises par l’Etat qui est leur actionnaire, cet Etat devrait recapitaliser la banque concernée, en émettant pour cela le même montant de dette publique. S’il ne le faisait pas, il abaisserait apparemment le ratio dette publique sur PIB et aurait à consolider avec ses propres déficits ou excédents la perte ou le manque à gagner récurrent ainsi imposé à la banque centrale. Et si les banques centrales acceptaient de n’être rémunérées qu’à un taux d’intérêt égal à zéro sur les dettes publiques qu’elles détiennent, le budget des Etats connaîtrait un manque à gagner exactement du même montant. Bref, du point de vue budgétaire, c’est un jeu à somme nulle. Procéder à de telles annulations, pour séduisant que cela paraisse, serait ainsi en réalité parfaitement vain.

Attention à la déstabilisation

Vain, mais pas sans danger ! L’annonce d’une telle décision serait très déstabilisante et la capacité ultérieure de l’Etat à financer sa dette pourrait être gravement compromise, ou chèrement payée en termes de prime de risque. D’autant qu’une telle opération reviendrait à mettre la politique monétaire totalement sous domination des pouvoirs publics. Et à la rendre inopérante dans sa maîtrise des agrégats monétaires comme dans sa lutte contre l’inflation. Avec des conséquences évidentes sur le désancrage des anticipations et sur le risque destructeur d’hyperinflation.

Enfin, et pour conclure par un raisonnement par l’absurde, si une telle possibilité existait, sans risque et sans douleur, pourquoi n’a-t-on pas laissé depuis longtemps les Etats développer des déficits ad libitum, sans limites de dépenses ? Malheureusement, il n’y a pas d’argent magique.