Les banques centrales seraient-elles amenées à financer très durablement les déficits publics liés à la réindustrialisation, au changement climatique ou au réarmement contrairement au « quoi qu’il en coûte » qui ne durait que le temps de la pandémie ? La dette n’aurait-elle donc aucune importance ? Piégée par trop d’objectifs contradictoires, la politique monétaire extrêmement accommodante se perpétuerait alors, les taux d’intérêt restant très inférieurs au taux de croissance et le bilan de la banque centrale ne cessant de gonfler. Las ! Cette idée bien commode augurerait de lendemains douloureux. Les banques centrales amorcent d’ailleurs une autre voie.
Avant-guerre, à cause d’une inflation qui n’était pas seulement transitoire, les banques centrales devaient sortir progressivement du quantitative easing et augmenter leurs taux. Mais prudemment, du fait de l’endettement global très élevé et de marchés financiers et immobiliers fortement valorisés, elles ont durci leur discours lorsqu’est survenu un fort surcroît d’inflation dû à la guerre en Ukraine.
Une inflation qui s’emballerait par un phénomène d’indexation, même imparfait, des prix aux prix et des salaires aux prix serait en effet source de nombreux maux. Serait induite de facto une inégalité profonde des évolutions de revenus en valeur réelle, entre les ménages comme entre les entreprises, la capacité à répercuter les hausses de prix étant loin d’être égale. Les négociations salariales deviendraient très conflictuelles ; l’affichage des prix entre producteurs, distributeurs et consommateurs serait instable ; les contrats de prêt engendreraient une perturbation des modes de fixation des taux d’intérêt entre prêteurs épargnants et emprunteurs. Une inflation stable et basse est en effet essentielle à la confiance entre les acteurs, donc à une économie efficace. Aujourd’hui, face au spectre de la stagflation, les banques centrales font face à un dilemme encore plus délicat.
Elles ne doivent pas casser cette croissance qui va s’affaiblissant, mais elles n’ont pas d’autre choix que de réagir pour lutter contre le risque majeur d’une inflation incontrôlée. Aussi, lorsque les banques centrales a minima normaliseront leur politique monétaire, elles devront le faire avec beaucoup de clarté pour leur crédibilité, mais aussi beaucoup de progressivité. Elles devront en tester à chaque étape les effets sur les marchés financiers, y compris celui de la dette des Etats. La BCE a un défi supplémentaire : la zone est composée de pays aux situations économiques très divergentes. Parallèlement, les gouvernements devront afficher une trajectoire budgétaire crédible, en réalisant des investissements porteurs de croissance potentielle et plus verte, mais aussi en protégeant les plus démunis face à l’inflation… Les réformes structurelles seront en outre, et plus que jamais, indispensables pour faciliter la croissance et participer à la trajectoire de solvabilité – on parle notamment de celle des retraites en France. Ce chemin, étroit, est le seul possible.
Si les banques centrales perpétuaient ad libitum une politique de financement des déficits publics et de taux trop bas, de graves crises financières dues à l’éclatement de bulles de moins en moins contrôlables se produiraient en cascade, abîmant structurellement la croissance. L’inflation s’emballerait au détriment des plus faibles et de l’efficacité globale de l’économie. Et, tôt ou tard, la confiance dans la monnaie elle-même pourrait être remise en cause. La fuite devant la monnaie finirait alors par faire s’effondrer l’économie et l’ordre social. Les exemples dans l’histoire en témoignent. Les politiques monétaires vont donc se durcir et les taux d’intérêt monter. Reste peu de temps pour les agents très endettés, publics ou privés, pour s’y préparer.