Inflation, fin de partie ?

04.09.2024 3 min
Une brève analyse de l’évolution de l’inflation à attendre , des impacts de de la politique monétaire et de la situation en termes de stabilité financière

Après avoir surpris par sa vigueur, l’inflation, due à un choc de demande -qui a rebondi très fortement une fois les confinements terminés- et à un choc d’offre -violemment réduite pendant la pandémie-, semble revenir progressivement à des niveaux raisonnables. Les causes de ce repli sont à mettre du côté d’une remontée progressive des capacités de production mondiales et à la baisse du surcroît de demande, par l’épuisement progressif de l’excès d’épargne engendré par les confinements. Mais la désinflation a été également engendrée par une politique monétaire très réactive et très coordonnée internationalement ainsi qu’à la forte crédibilité des banques centrales qui ont affiché une grande détermination à vouloir faire revenir l’inflation à sa cible. Ce qui a permis que les anticipations d’inflation des différents acteurs économiques -entreprises comme ménages -ne se désancrent pas. Ajoutons que jusqu’à présent, à l’encontre de nombre de prévisions justifiées par des données historiques, nous avons assisté à un atterrissage en douceur de l’économie (soft landing), c’est-à-dire sans récession et sans choc financier systémique. La partie est-elle donc gagnée ? Bien possible. Plusieurs points doivent cependant nous faire rester prudents quant à ce diagnostic.

Les salaires ont évolué ces derniers temps à un rythme qui reste élevé (entre 4 et 5% par an). Or, en zone euro, les gains de productivité quasi-nuls ne permettent pas de compenser cette évolution. Les marges des entreprises sont donc en jeu. En zone euro toujours, c’est la baisse des prix des importations qui a permis d’assurer une grande partie de la désinflation. Mais peuvent-ils continuer à baisser davantage ? Et les prix des services augmentent toujours rapidement. Par ailleurs, jusqu’alors, la forte augmentation des taux d’intérêt dans un contexte pourtant de dettes publiques et privées historiquement très élevées, n’a pas produit le choc financier craint. N’avait-on pas pourtant parlé de possible « tempête parfaite » à ce sujet ? Quelques raisons à ce non-évènement : l’utilisation du surcroît d’épargne et les politiques de protection contre l’inflation ont nourri la croissance qui aide à surmonter la hausse des coûts de l’endettement.

La réglementation bancaire, fortement resserrée depuis la dernière grande crise financière (2007-2009), a globalement réussi à sauvegarder les banques. Les entreprises, profitant des taux très bas précédant le retour de l’inflation, avaient allongé leurs crédits et les avaient contractés plutôt à taux fixe. Toutefois, gardons à l’esprit quelques éléments incitant là aussi à la prudence. Le secteur immobilier professionnel, dans la bulle immobilière précédant la pandémie, avait pu connaître ici et là des excès d’endettement, d’où des insolvabilités commençant à se manifester. Beaucoup d’entreprises de tout secteur, parfois à fort levier, auront à refinancer leurs crédits dès 2024 et ces toutes prochaines années. De nombreux États eux-mêmes, très endettés, auront progressivement à supporter des charges d’intérêt en forte hausse qui viendront entrechoquer leurs trajectoires de solvabilité.

La sensibilité des marchés financiers à ce type de situation pourrait ainsi s’élever notoirement et peut-être brutalement. De plus, les banques centrales auront certainement à cœur de ne pas reproduire de phases de taux d’intérêt trop bas pendant trop longtemps, phases qui affaiblissent la stabilité financière. Et elles désireront conserver des marges de manœuvre pour faire face aux futures crises systémiques. L’inflation, qui plus est, pour des raisons structurelles, ne sera plus aussi basse que pendant les 30 dernières années. Nous devrions donc avoir changé de régime de taux d’intérêt pour longtemps, retrouvant des taux plus normaux, c’est-à-dire plus proches des taux de croissance nominaux. Aussi, si la situation jusqu’alors s’est révélée être un atterrissage réussi de l’inflation sans dommage majeur sur l’économie, pour éviter un choc de forte ampleur encore possible, c’est aux acteurs économiques privés et publics, appuyés sur des règles macro prudentielles bien fixées par les autorités, de s’adapter avec vigueur pour assurer la soutenabilité de leur solvabilité et de leur croissance.

Olivier Klein
Directeur Général Lazard Frères Banque | Professeur d’Economie et Finance à HEC