C’est entendu. L’inflation doit être combattue et la politique des banques centrales va y contribuer activement. Mais les marchés financiers anticipent que, lorsque l’inflation reviendra vers sa cible, les banques centrales rebaisseront leurs taux d’intérêt et les taux longs reviendront progressivement par anticipation – ils le font déjà pour partie – à des niveaux bas, en se référant ainsi à la dernière décennie.
Analysons pourquoi il n’en sera probablement pas ainsi. Les années 2010 à 2021 ont connu des taux longs très bas pour plusieurs raisons conjuguées. Nous étions dans une phase qui se prolongeait de mondialisation et de révolution technologique. Cela poussait ainsi les prix vers le bas et ne permettait pas aisément de hausse des salaires. L’inflation étant très basse, elle induisait des taux d’intérêt très faibles. Et les banques centrales craignant à juste titre dans un premier temps la déflation, puis faisant face à une inflation en-deçà de leur cible, ont baissé à zéro ou même en territoire négatif leurs taux directeurs, tout en initiant une politique de « quantitative easing », prenant ainsi peu ou prou le contrôle des taux longs et des primes de risque.
Mais à partir de 2016-2017, alors que la croissance se normalisait après la très grave crise de 2007- 2009 et que les crédits reprenaient une bonne dynamique, les taux longs se sont installés à des niveaux très (trop) bas, très (trop) longtemps, certes avec une inflation obstinément très (trop) basse. Or, des taux longs durablement crantés en-dessous du taux de croissance, hors période de crise ou de convalescence, déclenchent la montée de l’instabilité financière. C’est-à-dire un endettement en croissance permanente et difficilement soutenable en cas de remontée significative des taux ; l’endettement public et privé a ainsi crû de plus de 45 points de PIB dans les pays avancés et de 60 dans les pays émergents entre 2008 et 2021. Et le développement de bulles sur les actions et l’immobilier ; les prix de l’immobilier résidentiel ont crû de plus de 40 % dans les pays avancés entre 2008 et 2021 et de 35 % dans les pays émergents. L’ensemble s’accompagnant de primes de risque trop faibles.
La remontée actuelle des taux d’intérêt correspond ainsi à une normalisation tout autant qu’à une lutte contre l’inflation. S’est abaissée progressivement la composante de l’inflation qui est due à une offre insuffisante – car disloquée partiellement par l’effet des mesures contre la contagion – et à une demande qui a rebondi fortement à l’issue des confinements. Mais quelques facteurs structurels vont probablement perdurer. Les effets d’un mouvement de démondialisation partielle et du coût durable de la transition énergétique. Comme ceux de l’indexation partielle des salaires et probablement d’une meilleure capacité des salariés à l’avenir à négocier le partage de la valeur ajoutée, qui s’est déformé depuis 30 ans en faveur des profits dans l’OCDE (sauf en France et en Italie notamment). L’inflation structurelle s’établira ainsi sans doute entre 2 et 3 %. Une fois l’inflation revenue vers ces niveaux, et hors effets du cycle des affaires, les taux longs normalisés s’établiront en moyenne probablement au taux de croissance potentielle, soit en zone euro entre 1 et 1,5 %, auquel il convient d’ajouter le taux d’inflation, soit 2 à 3 %. Des taux longs ainsi à 4 % environ devraient redevenir la norme à travers les cycles. Ils ne conduiraient pas à faciliter le développement de cycles financiers, qui passent de phases de croissance à des phases d’euphorie, entraînant un surendettement progressif et la constitution de bulles. Ce qui engendre des crises financières et économiques violentes. Les taux courts pourront toutefois monter au-delà pour mordre sur l’inflation, puis rebaisser quelque peu ensuite.
Nous assistons très probablement à la fin durable de l’argent gratuit.