Retrouvez mon intervention sur le rôle essentiel des banques régionales lors d’un colloque organisé par l’Institut des hautes études de l’aménagement des territoires (Ihedate) en février 2019, ayant pour thème « Acteurs, logiques et territoires de la finance ».
A travers ce titre, « la planète finance ou la finance de l’économie réelle », mon discours n’est pas de défendre en lobbyiste le système bancaire mais d’expliquer l’utilité de la banque commerciale. Mais aussi d’expliquer qu’il existe, notamment en France, deux modèles bancaires, chacun d’eux ayant son intérêt et son utilité, bien qu’ils ne soient pas identiques.
Il y a d’un côté les banques ayant un modèle centralisé, telle que BNP Paribas ou Société Générale par exemple. Ces groupes sont cotés en Bourse.
Et de l’autre, un modèle différent qui est celui des banques coopératives ou mutualistes qui regroupent le Crédit Mutuel, le Crédit Agricole et BPCE, réunissant les Banques Populaires et les Caisses d’Épargne. Ces groupes ont une organisation différente, puisque dans chaque région, sur chaque territoire, une banque de plein exercice à leur enseigne y opère. La gouvernance y est en outre singulière. Chacune de ces banques régionales a un conseil d’administration ou un conseil de surveillance, local, qui contrôle son exécutif. Chaque banque régionale a ses sociétaires qui détiennent le capital de la banque. De surcroît, ce sont les banques régionales qui sont actionnaires de l’organe central au sein des groupes coopératifs ou mutualistes.
Ce système a pris régulièrement des parts de marché en France et affiche des ratios de gestion très performants.
La proximité relationnelle, décisionnelle et managériale des banques coopératives
Quelles sont alors les raisons fondamentales pour lesquelles le système des banques régionales se développe bien dans le métier de la banque de détail ? Ces raisons en sont assez simples.
La première, c’est la proximité décisionnelle. Dans les banques régionales, la décision de crédit, même la plus importante, est prise localement, dans la région. Les entreprises aiment aussi travailler avec des banques dont les centres de décision sont sur leur territoire.
La proximité managériale est également, à mon sens, un atout puissant, dont on parle pourtant trop peu. Dans les banques coopératives, les dirigeants et les cadres sont souvent dans la région pour longtemps. Ils participent à l’effort d’explication de la stratégie de la banque. Les décisions d’organisation de la banque sont également prises au plus près des collaborateurs. Cette proximité managériale est cruciale car la banque de détail est un métier de services. La capacité à mobiliser les équipes au profit des clients fait toute la différence. La mobilisation que l’on est capable de fournir est un des facteurs sensibles de différenciation des résultats.
Le troisième point qui me semble tout aussi fondamental est la proximité relationnelle. Elle s’exprime de façon multiple. La relation qui s’établit entre le client et la banque doit être durable. Elle conditionne notre capacité à bien faire notre métier de conseil, à fidéliser et à être durablement rentable. Pour répondre aux banques en ligne « low cost » qui faisaient encore il y a peu la une des journaux, la BRED a adopté le slogan « la Banque sans distance » : on peut travailler à distance, par téléphone ou courriel si le client ne veut plus ou ne peut pas venir à l’agence, mais il peut toujours y venir s’il le souhaite. Et toujours avec son conseiller dédié. On abolit les distances physiques. Mais on abolit aussi les distances relationnelles ; on ne met pas le client à distance. Et l’on tente de lui apporter de la valeur ajoutée, en lui procurant le meilleur conseil possible, le plus approprié. La proximité relationnelle se retrouve également à travers des réseaux d’agences plus denses. Les parts de marché en banque de détail sont aussi révélatrices de la densité des réseaux d’agences. Cela ne se dément pas. Enfin, le sens du long terme dans la relation entretenue entre le client et sa banque participe de la proximité relationnelle.
Cette proximité relationnelle s’entend aussi plus globalement. La congruence entre la banque et sa région, ses territoires, est essentielle. Si nous faisons bien notre métier, nous favorisons la croissance du territoire. Les banques coopératives sont ainsi en symbiose avec leur territoire. Si la région va bien, la banque va bien. Et réciproquement. L’intérêt du territoire et de la banque est convergent. Enfin, toutes les banques régionales sont d’une manière ou d’une autre engagées sociétalement sur chacun des territoires. Certaines choisissent le sport, d’autres la culture, l’éducation, l’égalité des chances, tous facteurs d’amélioration de la cohésion sociale et de l’attractivité du territoire.
J’ajoute à cela que, par construction, toutes ces banques de plein exercice ont à leur tête des responsables entrepreneuriaux, de vrais dirigeants d’ETI bancaires. Cela contribue à l’évidence à la performance de ce type de banques.
En outre, la gouvernance des banques, comme je l’ai évoqué en introduction, est primordiale. Leur conseil est composé de sociétaires clients, vivant sur le même territoire. La gouvernance même des banques coopératives est organisée de façon à ce que non seulement on pense client, puisque ce sont nos clients qui sont à notre conseil, mais en plus, on pense région, territoire, puisque ce sont les clients de la région qui composent les membres du conseil.
Je voudrais maintenant aborder l’utilité économique des banques territoriales. Vous le savez comme moi, la France est très centralisée au regard de ses modes de décision, ses ministères, les sièges des grandes entreprises… Il en va tout autrement en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Suisse et dans bien d’autres pays encore. Les banques régionales sont importantes dans ces pays-là. Les entreprises et les grands centres de décisions y sont répartis bien davantage sur l’ensemble du territoire.
Les banques régionales, un antidote réel à la forte centralisation française
En France, les banques régionales sont un des antidotes possibles, mais réels, à la très forte centralisation.
Les banques régionales collectent l’épargne et octroient des crédits sur leurs territoires. Il est impensable d’allouer l’épargne collectée par exemple en Auvergne au financement de projets en Alsace ou l’inverse, au motif que ce serait plus rentable ici que là. C’est antinomique avec notre façon de raisonner, d’être et d’exister. Aujourd’hui, on vante les circuits courts, je ne sais pas si cela est forcément bien ou pas. Mais, en tout cas, nous assurons un circuit court. Et même la BRED qui est présente sur plusieurs territoires fonctionne ainsi sur chacun d’eux. Nous n’avons pas de réallocation au détriment de certains territoires. Il n’y a pas de fongibilité de l’épargne dans le système des banques régionales qui permettrait de déplacer et de réallouer l’épargne au détriment d’une région et en faveur d’une autre. Il est indispensable de le rappeler et de valoriser ce système, car il permet de bien soutenir et financer le tissu de PME en région.
Enfin, je souhaite revenir sur l’utilité des banques commerciales traditionnelles, coopératives ou pas. Je dis banque traditionnelle car, si elles se modernisent continuellement pour répondre aux attentes et aux usages de leurs clients, elles continuent de faire le même métier de banque dans son essence, à savoir faire se correspondre, par leur intermédiaire, ceux (ménages comme entreprises) qui ont des capacités de financement et ceux qui ont des besoins de financement. C’est œuvrer tout simplement au financement de l’économie réelle.
Parfois, j’entends dire que les marchés financiers pourraient très bien remplacer les banques. C’est une aberration car il en résulterait surtout beaucoup d’épargne non mobilisée pour financer l’économie. Les marchés financiers fonctionnent bien pour un nombre, par construction, restreint d’acteurs économiques, tant parce que les émetteurs doivent avoir une taille suffisamment grande pour pouvoir y être référencés et emprunter que pour les épargnants qui, très majoritairement, n’ont pas les compétences nécessaires pour y faire des choix appropriés. Plus encore, les marchés financiers ne prennent pas, contrairement aux banques, les risques financiers à la place des acteurs de l’économie réelle. En effet, une très grande majorité d’acteurs disposant de capacité de financement ne peuvent pas aller sur les marchés financiers pour financer des particuliers, des professionnels et des PME, car ils ne peuvent en assurer l’analyse de crédit ni les suivre dans le temps. La banque, elle, s’est spécialisée dans le traitement d’informations permettant de le faire. Et, fait essentiel, elle supporte sur son compte de résultat les risques de crédit, de liquidité et de taux d’intérêt, qui sinon seraient encourus par les prêteurs ou les emprunteurs. La banque sert donc à prendre des risques que ne veulent pas prendre les entreprises ou les personnes physiques. Ce que ne font pas les marchés financiers. Le rôle bancaire est ainsi irréductible, que ce soit au niveau régional ou national.
Pour conclure, lorsque l’on s’attarde sur les travaux actuels, menés en particulier par Nicole Notat et Jean-Dominique Senard, pour redéfinir l’entreprise, repenser la gouvernance des entreprises en prenant en compte, non plus seulement les intérêts des actionnaires, mais également ceux de toutes les parties prenantes – salariés, clients, comme société -, on constate que les banques coopératives ont une modernité retrouvée, puisque par construction, leurs clients étant leurs sociétaires, et leurs représentants étant leurs administrateurs, elles intègrent dans leur mode de gouvernance même la nouvelle orientation souhaitée des entreprises. Comme nous l’avons vu enfin, elles participent pleinement à la finance territoriale, en prenant en compte l’intérêt des régions dans lesquelles elles sont inscrites.
Pour reprendre le thème général du colloque, la dynamique économique des territoires nécessite une finance de proximité. Les banques coopératives le font. Pas seules, certes. Mais c’est le cœur de leur vocation.