L’après-pandémie provoque un fort rebond qui nécessite du temps pour que les circuits d’approvisionnement se remettent en place et que l’offre se réajuste. La plupart de économistes pensent en conséquence que l’inflation ne sera que transitoire. En outre, les raisons structurelles d’une inflation très basse persistent. Sont toujours à l’œuvre, en effet, la mondialisation, qui pèse sur le prix du travail et des biens et services, et la révolution technologique, qui abaisse le pouvoir de négociation des salariés peu qualifiés et qui, par la diffusion du digital comme de la robotisation, permet des gains de productivité qui freinent l’inflation. Ajoutons que depuis les années quatre-vingt, il y a décorrélation entre la croissance de la masse monétaire et l’inflation. Et depuis les années quatre-vingt-dix, une quasi-disparition de la courbe de Phillips, la montée de l’emploi n’entraînant plus la croissance des prix. Mais quelles sont les raisons pour lesquelles la poussée de l’inflation pourrait pourtant être durable ?
Si nous envisageons l’histoire longue depuis le 19ème siècle, nous connaissons des cycles longs de régimes inflationnistes, où la conjoncture est dominée par la politique monétaire, qui lutte contre l’inflation en faisant chuter la croissance quand l’inflation accélère trop, et inversement. On observe également, en alternance, des cycles longs de basse inflation, due aux effets des mondialisations et des révolutions technologiques. A la fin du 19ème et au début du 20ème, un tel régime de basse inflation s’est installé, comme lors de ces trente dernières années. Le dernier cycle en cours a déjà une très forte longévité. Ce n’est pas une raison suffisante pour penser qu’il va prendre fin, mais cela suscite la réflexion. Aujourd’hui, en soulevant le couvercle mis sur l’économie pendant la pandémie et avec de très puissantes politiques de soutien, puis de relance, les prix remontent. Et un risque de retour d’un régime inflationniste ressurgit, risque que nous n’avions pas connu depuis longtemps.
Si la pandémie ne conduit pas « au monde d’après », elle a en effet accéléré considérablement les mutations qui étaient en cours précédemment. Et l’on constate aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, des pénuries de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs, y compris dans les services à faible qualification, même si l’emploi global n’a pas retrouvé son étiage antérieur. Les salaires augmentent donc, parfois sensiblement, chez Mac Do comme dans les entreprises à forte valeur ajoutée. Pour attirer de nouveaux salariés comme pour les conserver. L’analyse macroéconomique peut ici donner de fausses indications si elle ne se concentre que sur des chiffres agrégés. Ajoutons encore que Biden souhaite, à juste titre, augmenter les petits salaires. Mais le rythme et l’intensité de ces augmentations sera déterminant. En outre, on a connu depuis quelques décennies, dans la plupart des pays de l’OCDE, une augmentation des salaires réels inférieure aux gains de productivité, soit une déformation du partage de la valeur ajoutée au détriment des salariés. Contribuant ainsi aux réactions populistes. Et conduisant à de possibles demandes à venir, plutôt tôt que tard, de progression plus vive des salaires.
Avec les évolutions de l’histoire longue en toile de fond et les fortes mutations économiques et de l’emploi en cours, le très fort rebond de l’économie et la montée sensible des prix en résultant pourraient, le cas échéant, et si la pandémie ne resurgit pas, enclencher une nouvelle indexation des salaires sur les prix, puis une boucle d’indexation qui pourrait ainsi entraîner le monde dans un nouveau cycle de régime inflationniste. Le coût croissant de la nécessaire transition énergétique pourra également peser sur une hausse durable des prix. Rien n’est certain, loin de là, mais le cas n’est plus à exclure.
Gageons cependant que les banques centrales, affichant ainsi leur indépendance vis-à-vis des Etats comme des marchés financiers, agiraient alors, lorsque la croissance sera revenue sur sa tendance de moyen terme, pour stopper un tel retour à un régime inflationniste. Les augmentations de taux d’intérêt qui en résulteraient seraient d’ailleurs bienvenues pour freiner les bulles spéculatives en plein développement actuellement. Mais ceux des Etats ou des entreprises qui sont très endettés devraient alors s’y préparer au mieux, en agissant structurellement sur leur trajectoire de solvabilité.
Tribune publiée dans les Echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-pourquoi-linflation-pourrait-faire-son-grand-retour-1329762