L’union monétaire est notre bien commun. Les vertus de l’euro ont prouvé sa forte utilité notamment pendant les crises, et ce grâce à l’action déterminée de la Banque centrale européenne. Mais cette dernière ne pourra pas indéfiniment pallier l’insuffisance des politiques structurelles comme l’inachèvement du mode de régulation de la zone euro.
Une union monétaire européenne ne peut être pérenne sans éléments de solidarité en son sein. Mais les différents pays européens ont-ils des intérêts suffisamment convergents pour y parvenir ? Si les divergences sont trop fortes, il est illusoire de vouloir assurer la permanence d’un budget tel que Next Generation EU et d’une dette communautaire, qui sont pourtant des avancées remarquables.
Une solidarité à sens unique
Depuis la création de la zone euro, les pays du Nord de l’Union monétaire se sont davantage industrialisés tandis que les pays du Sud ont progressivement connu un phénomène de désindustrialisation. Les premiers ont corrélativement gagné des parts de marché dans le commerce mondial, alors que les pays du Sud en ont perdu. Les pays du Nord, avec leurs excédents courants, ont accumulé des avoirs nets sur le reste du monde, pendant que les pays du Sud, en déficit courant jusqu’à la crise de la zone euro, ont au contraire accumulé des dettes vis-à-vis du reste du monde. Les niveaux d’éducation initiale, tout comme les aptitudes professionnelles, sont également très dissemblables entre les uns et les autres. A l’instar du taux de chômage des jeunes ou du taux d’emploi. Les gains de productivité divergent également. Au final, nous assistons à une divergence Nord-Sud de plus en plus grande quant au niveau de la dette publique sur PIB. Pour préserver la solidarité développée pendant la pandémie, il faut établir une confiance entre pays du Nord et pays du Sud, en réduisant ces fortes divergences. Cela repose sur trois impératifs.
En premier lieu, les pays du Sud se doivent de conduire des politiques structurelles, c’est-à-dire des investissements ad hoc et des réformes. Il ne s’agit pas là de politiques d’austérité, bien au contraire, puisqu’elles permettent d’augmenter la croissance potentielle. Par l’accroissement de la productivité, par l’amélioration de l’efficacité de la formation initiale comme professionnelle, par une meilleure mobilisation de la population en âge de travailler (notamment par la réforme des retraites), comme par une optimisation des dépenses publiques. Seules ces réformes garantiront aux pays du Nord de ne pas devoir indéfiniment développer une solidarité à sens unique avec les pays du Sud. Mais, si ces réformes sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. Les politiques structurelles seules ne sauraient suffire à rattraper les retards d’industrialisation des pays du Sud.
Des règles budgétaires réalistes
D’où le deuxième impératif : une politique industrielle et d’aménagement du territoire dans l’Union européenne, à travers des investissements et des aides ciblées des pays du Nord vers les pays du Sud. Le plan de relance Next Generation EU est une réponse. Il faudrait donc que les projets puissent effectivement être mis en place de façon à favoriser, dans les pays le nécessitant, compétitivité et industrialisation.
Enfin, la nécessaire reconstruction de règles budgétaires partagées et réalistes, ce qu’elles ne sont plus aujourd’hui. Ces règles doivent être efficaces et accompagner ces évolutions, tout en faisant en sorte qu’il n’y ait pas de « passager clandestin » au sein des pays de l’Union.
Si ces trois impératifs ne sont pas respectés, soit le populisme montera encore davantage dans les pays du Nord qui n’accepteront pas l’idée de devoir assister à l’infini les pays du Sud, soit le populisme continuera de croître dans les pays du Sud de plus en plus désindustrialisés, sans aide du Nord. Dans une zone monétaire, comme les dévaluations – loin d’être pour autant une solution miracle – ne sont plus possibles, le rattrapage dans chaque pays isolément des différentiels de compétitivité est plus difficile. Sont ainsi engendrés des phénomènes cumulatifs de polarisation industrielle localisée dans les pays ayant le plus d’avantages comparatifs. Seuls les efforts, tant communautaires que nationaux, cités ci-dessus, permettront de sortir de ce piège.
Tribune publiée dans Les Echos : https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-les-defis-de-la-zone-euro-apres-la-pandemie-1374881