Comme on le sait, et contrairement à ce qu’on lit parfois, les taux d’intérêt bas ne sont pas en tant que tels l’ennemi des banques. Ce qui compte, pour elles, ce ne sont pas les taux d’intérêt, mais la pente des taux. Rappelons qu’en France, par exemple, les crédits (prêts immobiliers, crédits d’investissement) sont en moyenne d’une durée assez longue et très majoritairement à taux fixe. Alors que les dépôts sont plutôt courts, à vue non rémunérés ou à terme rémunérés à des taux indexés sur des taux courts.
Si la différence entre taux longs et taux courts est suffisamment forte, que les taux soient élevés ou bas importe peu. La même pente engendre le même taux de marge nette d’intérêt (MNI). En revanche, des taux longs très bas, proches de zéro, ne permettent pas une pente des taux suffisamment forte pour dégager un taux de MNI suffisant. Et pour cause : les dépôts peuvent très difficilement porter des taux négatifs, les ménages et les petites et moyennes entreprises ne l’acceptant pas aisément.
La hausse des taux est favorable à la MNI
En pratique, les banques connaissent rapidement une hausse de leur taux de MNI si la courbe des taux se déplace homothétiquement à la hausse. Et inversement à la baisse. Cet impact contre-intuitif est dû au fait que le stock de crédits se renouvelle plus vite que le stock d’épargne. Lorsque les taux courts et longs s’élèvent, le taux moyen de l’encours de crédits monte plus vite que le taux moyen de l’encours de dépôts, globalement indexé sur des taux réglementés.
A contrario, lorsque la courbe baisse, les réaménagements de taux et les remboursements anticipés des crédits immobiliers s’accélèrent. Les ménages profitent ainsi de la baisse des taux, alors que les placements au passif des ménages sur les plans d’épargne logement, par exemple, se renouvellent moins vite, les ménages étant désireux de conserver plus longtemps les taux anciens, plus intéressants.
Le rôle capital de la Banque centrale européenne dans l’équation
Quel pourrait être alors l’impact de l’inflation sur la MNI des banques, à travers le mouvement des taux d’intérêt ? Eu égard à ce qu’elles annoncent, le plus probable serait que les banques centrales diminuent leur quantitative easing en cessant progressivement d’acheter en net des titres longs sur les marchés (tapering), avant d’augmenter leur taux directeur, c’est-à-dire les taux de court terme. Cela pourrait alors provoquer un effet favorable sur le taux de MNI des banques, puisque les taux longs pourraient remonter plus rapidement que les taux courts, en augmentant ainsi une pente aujourd’hui très écrasée.
Cela serait d’ailleurs de bonne politique, puisque les banques centrales cesseraient progressivement de soutenir les conditions de financement, la croissance et l’inflation se redressant, tout en permettant aux banques de bien financer les demandes de crédits grâce à une profitabilité moins touchée par l’effet du quantitative easing. Cet effet positif ne doit toutefois pas faire oublier l’impact de la disparition concomitante des aides des banques centrales aux banques, avec notamment le tiering et les Targeted Longer-Term Refinancing Operations (TLTRO) en zone euro.
À ce stade, il convient d’intégrer un autre élément : les volumes. Les mouvements dus à l’effet taux, c’est-à-dire la variation du taux de MNI, peuvent être plus ou moins compensés par de l’effet volume. Autrement dit, les évolutions des encours de crédits et de dépôts. Car, in fine, l’effet taux croisé avec l’effet volume donne l’évolution de la MNI en valeur elle-même.
Une normalisation prudemment menée de la politique monétaire conduirait en principe à un effet globalement favorable. Si les taux montaient progressivement et sans à-coups majeurs, l’effet volume en résultant devrait être en effet relativement neutre. En outre, si les banques centrales ne procédaient à cette normalisation que très progressivement, et après l’avoir annoncée, comme c’est le plus probable, les à-coups sur les marchés financiers pourraient n’être que faibles.
En revanche, si, pour une raison ou pour une autre, les banques centrales ne réagissaient pas à un surcroît d’inflation durable, leur crédibilité en serait écorchée : les taux longs monteraient plus vivement, alors que les taux courts resteraient stables. La demande de crédits (immobiliers comme d’équipement) pourrait en être affectée, produisant éventuellement un effet volume négatif ou moins favorable qu’en régime de croisière. Les marchés obligataires et actions pourraient accuser de sévères moins-values.
Un scénario noir à éviter
Avec un tel scénario, les bulles se dégonfleraient plus soudainement et les chocs sur les bilans bancaires, comme sur le bilan et les comptes de résultat des clients des banques, pourraient être plus sévères, avec des répercussions sur les provisions bancaires et sur les résultats des salles de marché. Les entreprises et États très endettés qui ne se prépareraient pas à la remontée probable des taux pourraient en effet souffrir bien davantage.
Le rôle des banques centrales est donc majeur. Pour éviter de trop fortes bulles, même en cas d’inflation contenue, elles devraient normaliser tôt ou tard leur politique monétaire, pour ne pas laisser trop longtemps les taux d’intérêt nominaux à un niveau exagérément inférieur au taux de croissance nominale.