Dix Propositions
Aujourd’hui, deux évidences s’entrechoquent. En premier lieu, les marchés financiers ne s’autorégulent pas. En finance globalisée et déréglementée, ils conduisent inéluctablement à des crises plus ou moins violentes qui amplifient, voire déclenchent, 295 les cycles de l’économie réelle, tant dans leurs phases euphoriques que dans leurs périodes dépressives. La seconde évidence est le caractère indispensable de ces mêmes marchés financiers qui autorisent la réallocation des risques (de taux d’intérêt et de change, par exemple) et qui permettent, complémentairement aux banques, l’ajustement des besoins et des capacités de financement mondiales. Les banques, seules, ne peuvent pas aujourd’hui assurer la totalité du financement de l’économie.
C’est pourquoi une conclusion s’impose avec force : la nécessité d’une réglementation adéquate et de réformes de diverses natures permettant de limiter l’instabilité intrinsèque de la finance, à défaut de la faire disparaître. Soyons vigilants à ce que ces réformes soient bien engagées avant que l’on ne s’empresse, avec le retour ultérieur d’une nouvelle phase euphorique, d’oublier les leçons récurrentes que nous apporte chaque crise financière.
Les raisons de l’instabilité inhérente à la finance sont de mieux en mieux analysées. Elles se trouvent dans la nature profonde d’un actif financier ou patrimonial, dont le prix n’est pas fonction de son coût de fabrication, à l’instar d’un bien ou d’un service reproductible. Sa valeur correspond en fa$ à l’évaluation d’une promesse de revenus futurs engendrés par l’actif considéré. Or, cette prévision est très incertaine, tant l’avenir est difficilement probabilisable dans une économie décentralisée et monétaire.
En effet, les évolutions du taux d’épargne des ménages comme les multiples interactions des agents privés concurrents et complémentaires rendent les succès ou les échecs des uns et des autres très difficiles à prévoir et encore davantage à quantifier.
Les économistes parlent ici de situation d’incertitude radicale ou fondamentale. Mais la prévision est également incertaine parce que le risque exact de l’émetteur de l’actif en question (action ou titre obligataire, par exemple) est mal connu par le détenteur du titre. Ce dernier ne possède en effet une information parfaite ni sur la situation actuelle de l’émetteur, ni sur ce que celui-là fera demain, modifiant ainsi éventuellement profondément son profil de risque. Cette asymétrie d’information et cette incertitude radicale induisent une difficulté profonde à connaître en toutes circonstances avec vraisemblance les prix d’équilibre, les prix « normaux », des actifs financiers, facilitant en cela les comportements mimétiques et les créations de bulles.
S’ajoute, dans la phase euphorique, une capacité à oublier les effets des crises précédentes et, de ce fait, à ce que les 296 acteurs économiques augmentent leur niveau d’endettement, en poussant l’effet de levier à des niveaux tels qu’ils fragilisent leurs situations financières, et lors de la phase dépressive, à brutalement chercher à réduire cet endettement, aggravant ainsi considérablement le retournement conjoncturel. En outre, ce phénomène s’amplifie encore lorsque les prêteurs apprécient la solvabilité -des emprunteurs non plus à l’aune de leurs revenus futurs probables, mais de l’évolution anticipke des prix des actifs (actions ou immobilier, par exemple) qui sont ainsi financés ou qui servent de garantie.
Enfin, viennent s’ajouter de façon exogène, par exemple, des règles de rémunération des acteurs ou des normes comptables et prudentielles qui peuvent être des causes additionnelles de l’instabilité et de la procyclicité de la finance par rapport à l’économie réelle.
Tout projet de réformes doit donc s’attacher à lutter contre les causes tant endogènes qu’exogènes de cette instabilité. S’attaquer aux causes exogènes est sans doute la tâche la tâche la moins ardue.
S’ATTAQUER AUX CAUSES EXOGÈNES
Première proposition
Les normes comptables IFRS (International Financial Reporting Standards) ont privilégié l’évaluation des actifs au bilan en fair value, fondée essentiellement sur les prix de marché. Cette décision repose sur l’hypothèse que le prix de marché est à tout moment la meilleure représentation de la « vraie valeur de tel ou tel actif. Or, la profonde crise de liquidités que nous connaissons aujourd’hui a montré, si besoin était, que lorsque le marché s’évanouit sous la pression des vendeurs, en l’absence d’acheteurs, les prix s’effondrent au-delà de toute réalité fondamentale. De même et symétriquement, lorsque nous sommes au cœur d’une bulle spéculative, le prix du marché est totalement déconnecté de toute valeur d’équilibre. Il est donc nécessaire, comme la situation de 2008 y conduit, de pouvoir estimer raisonnablement la valeur au bilan des actifs, lorsque le marché ne permet plus de le faire.
Sans quoi, la dévalorisation comptable conduit à des ventes additionnelles qui s’entraînent les unes les autres, dans un mouvement auto-entretenu des prix vers le bas, et symétriquement en cas de hausse. II est donc nécessaire, en cas de défaillance des marchés, d’utiliser d’autres méthodes que celles de la fair value pour d u e r un actif. Sans revenir la méthode de comptabilisation en valeur historique, qui peut être trompeuse en cas d’actifs détenus en trading il peut être utile de procéder au mdrk to model, sous réserve de contrôle extérieur desdits modèles, ou à la simple actualisation des flux futurs raisonnablement attendus.
En outre, à l’opposé de l’effet provoqué par les normes IFRS, afin 297 d’atténuer la procyclicité du crédit, il est hautement souhaitable de favoriser le provisionnement des banques.
Si ces dernières peuvent provisionner par avance les risques futurs non encore avérés de leurs crédits, elles sont moins contraintes d’abaisser leur production de crédit lors de la survenance d’un fort ralentissement économique. L’impact de leurs pertes accrues dues à l’augmentation du coût du risque de crédit sur leurs capitaux propres est dors en effet compensé, au moins pour partie, par leurs reprises de provision. Enfin, il conviendrait de réexaminer les vertus de l’ancien plan comptable des banques sur un point : celui qui permettait la constitution et la reprise discrétionnaire de fonds pour risques bancaires généraux.
Deuxième proposition
De même, les normes prudentielles Bâle II sont-elles procycliques.
Les capitaux propres des banques exigés par Bâle II sont proportionnels aux engagements de crédit notamment, eux-mêmes pondérés en fonction des risques qui leur sont associés. Parallèlement, les positions sur les marchés financiers sont également prises en compte en fonction des risques qui leur sont propres (méthode de la valse at risk).
Les modèles d’évaluation de ces risques, tant de crédit que de marché, étant essentiellement fondés sur les données des quelques années précédentes et prenant mal en compte les risques extrêmes, une phase économique euphorique conduit peu à peu à permettre plus de crédits et plus de positions spéculatives pour une même quantité de fonds propres, donc d’accroître encore l’euphorie. Tandis qu’une phase dépressive impose aux banques d’abaisser leur rythme de crédit ou de diminuer leurs positions sur les marchés, pour une quantité donnée de fonds propres, donc de renforcer la dépression elle-même. Aussi est-il indispen$able de modifier, sans doute, les modèles d’évaluation des risques et la durée de la période passée qu’ils prennent en compte, ou encore d’appliquer des stress scénarios aux modèles, permettant de prendre en compte des cas plus extrêmes (décomposition en facteurs de risque et application de chocs indépendants). Enfin, à modèles identiques, la solution est probablement, à l’instar de ce que fait l’Espagne, d’adapter le ratio de fonds propres exigés lui-même, en fonction de la phase économique traversée, de façon à i’élever pendant la période haussière du cycle et de l’abaisser lors du retournement, afin de lui faire jouer un rôle contracyclique. Le deuxième pilier de Bâle II autorise théoriquement les autorités monétaires à procéder de la sorte, mais, en i’absence de règles plus claires et partagées, il ne le permet pas en pratique de façon satisfaisante et coordonnée.
Troisième proposition
La question du mode de fonctionnement des agences de notation est égaiement au ceur de la réflexion. Leur caractère procyclique est là encore avéré. De plus, le rating des C D 0 (collate~zseddebt obligation) n’est pas semblable à celui des coupoïates. Les modèles d’évaluation des tranches de titrisation ont failli, et pas uniquement parce qu’ils n’intégraient pas le risque de liquidité. Outre le fait que ces modèles utilisaient des données collectées sur une durée trop courte, ils prenaient peu ou pas en compte les effets de non-linéarité liés aux effets de seuil, eux-mêmes dus à la mise en jeu successive du risque des differentes tranches de titrisation. En outre, ils ont mai appréhendé les corrélations des défauts des différents composants des supports de titrisation.
Enfin, il est crucial d’imposer que les agences de notation aient bien l’obligation de réaliser ou de faire réaliser la due dilzgence des sous-jacents de la titrisation, ce qui n’est pas le cas jusqu’à présent (d’où des tricheries sur les documents des crédits subprime, par exemple).
Ajoutons sur un autre plan que ces agences sont rémunérées par les émetteurs qui ont besoin de leur notation, ce qui pourrait inciter à douter de leur impartidité. Cependant, comme il n’est pas possible de concevoir un système viable qui reposerait sur un paiement par les utilisateurs, car les investisseurs sont disséminés et de taille très inégale, il reste soit à rendre ces agences publiques, arguant ainsi qu’elles rendent un service apportant un bien collectif, soit plus proba-blement à les soumettre à uri organisme de supervision qui vérifie la qualité des méthodologies utilisées et des résultats expost, comme le respect d’une déontologie corivenable.
En outre, comme cela a étk fait pour les commissaires aux comptes, il serait judicieux d’établir leur responsabilité civile en cas d’erreur fautive dans leur processus de notation, en comptant sur la régulation jurisprudentielle pour s’assurer davantage que leur mode de paiement n’influe pas sur leurs décisioris. Enfin, il semble qu’il soit absolument nécessaire, dans le même esprit, de séparer leurs activités de conseil (en préparation d’une notation) et de notation.
Quatrième proposition
La question de la rémunération des traders est également décisive, même si l’on ne peut en aucun cas en faire la cause principale des désordres actuels. Les bonus, payés annuellement, représentent des sommes extraordinairement importantes à l’échelle d’un individu et sont fondés sur les gains réalisés grâce aux positions de trading prises. Ce système de rémunération est totalement asymétrique, puisqu’il n’engendre pas de malus en cas de pertes. Aussi, est-il puissamment incitatif à prendre des risques importants. A minima, il serait indispensable. de ne calculer et de ne verser les bonus que lorsque les 299 position sont finalement débouclées. Mais surtout, puisque les phases fastes et moins fastes, voire désastreuses comme aujourd’hui, se succèdent au fil du temps sur les marchés, il pourrait être envisagé de ne payer la partie principale des bonus qu’à l’issue de cycles de trois à cinq ans, par exemple, induisant ainsi un comportement de plus long terme des traders. Il serait sans doute également sage de limiter ces mêmes bonus à un multiple plus raisonnable du salaire fixe, non seulement pour une question éventuelle d’équité sociale, mais aussi et surtout pour éviter les comportements professionnels déraisonnables induits par des sommes hors normes.
Notons enfin que ces systèmes de rémunération pourraient être examinés par les organes de supervision et entrer en ligne de compte dans le niveau d’exigence des fonds propres. Il est probable, en effet, que la seule autorégulation des banques ne puisse parvenir à assagir les modes de rémunération, dès lors que la concurrence interbancaire
sera à nouveau forte en ce domaine.
FAIRE FACE AUX CAUSES ENDOGÈNES
Faire face aux causes endogènes de l’instabilité financière est, par construction, moins aisé. Un certain nombre de pistes doivent être cependant poursuivies.
Cinquième proposition
Commençons par la voie la moins facile à mettre en oeuvre à cette fin : la politique monétaire: Ainsi que le disent nombre de banques centrales, il est, en premier lieu, difficile, voire impossible, d’utiliser l’arme des taux d’intérêt, afin de freiner ou d’empêcher l’apparition des phases euphoriques sur les marchés d’actifs patrimoniaux, car c’est Egalement le taux d’intervention des banques centrales qui permet d’influencer le taux de croissance économique. Or, ralentir la croissance par une augmentation de taux n’est souvent pas souhaitable, alors même qu’il serait utile de ne pas laisser se développer de phase euphorique sur les marchés.
En second lieu, les banques centrales ne peuvent déterminer avec précision la valeur des fondamentaux et ne sont donc pas certaines de bien cerner le début des bulles spéculatives.
En revanche, les autorités monétaires pourraient, à n’en pas douter, mieux régler qu’elles ne le font aujourd’hui les exigences de capitaux propres des établissements financiers en fonction de la phase en cours. En effet, le plus souvent, les bulles spéculatives sur le marché des actions comme celui de l’immobilier s’accompagnent d’un développement trop rapide du crédit, c’est-à-dire du niveau d’endettement et des niveaux de levier. Si l’endettement n’était pas en mesure de s’accélérer de façon anormale, de par une exigence plus forte de fonds propres bancaires, les bulles auraient moins d’oxygène pour se développer. Un réglage des taux de réserve obligatoires suivant le même objectif peut parfaitement s’envisager en complément.
Reste bien entendu le risque pour les banques centrales d’agir à
contretemps.
Sixième proposition
Les bulles viennent, comme nous l’avons vu, d’une capacité des acteurs à développer un fort mimétisme – rationnel à titre individuel, mais conduisant à une irrationalité collective ,en l’absence de repères fiables quant aux valeurs fondamentales.
Les banques centrales tentent ainsi de rendre la parole régulièrement afin de préciser au marché, lorsque c’est nécessaire, que les prix leur semblent sortir des plages « normales » correspondant à une juste appréciation des fondamentaux. Pourtant, ces mises en garde n’ont en général que peu d’effets. Ainsi, Alan Greenspan a-t-il parlé d’exubérance irrationnelle sur le marché des actions dès 1996. Cela n’a pas empêché l’une des plus fortes bulles de se former et d’éclater en 2000.
Peut-être serait-il possible d’imaginer une instance indépendante, un observatoire scientifique composé d’experts de renom, lié au FMI ou à la Banque des règlements internationaux (BRI), capable d’émettre un rapport public, trimestriellement par exemple, mesurant les tensions spéculatives sur les différents marchés d’actifs patrimoniaux.
Les économistes de la BRI ont mis à jour des indicateurs prédictifs assez fiables des crises financières et bancaires à venir. Ils reposent essentiellement sur la mesure de l’écart entre l’évolution instantanée des prix de l’immobilier et des actions et leur tendance longue de croissance, ainsi qu’entre le niveau des crédits sur le PIB et son niveau de référence de long terme. II est possible d’espérer que si de tels rapports étaient régulièrement faits et qu’ils étaient rendus publics avec le retentissement qu’il convient, ils pourraient peu à peu influencer la formation des anticipations des agents sur les marchés. Ils pourraient aussi permettre de diminuer la capacité d’aveuglement au désastre (disaster myopia) des marchés. Ce biais cognitif largement partagé correspond à la désensibilisation progressive de toute personne au risque qu’il encourt, au fur et à mesure que la survenance du dernier évènement à fréquence rare et à effet violent (ici la crise financière) s’éloigne dans le temps, favorisant ainsi des comportements qui conduiront à faciliter l’avènement du prochain désastre.
Septième proposition
Le court-termisme est inhérent à la finance, car il est rationnel pour des gestionnaires de fonds ou des dirigeants de banque d’adopter ou de faire adopter un horizon très court dans la gestion de leurs positions, eu égard précisément à l’incertitude quant aux valeurs fondamentales. Quand on ne sait pas quel est le « vrai » prix, on ne parie pas longtemps sur une convergence du prix de marché vers une anticipation incertaine de la valeur fondamentale. Aussi, est-il difficile de réduire ce court-termisme.
Quelques pistes cependant. Au-delà des fonds souverains qui ne sont pas contraints par le court terme, il serait possible d’orienter certains fonds vers le long terme, les fonds de pension par exemple, car leurs sorties sont programmables de longue date. Leur comptabilité pourrait être adaptée, afin de ne pas exiger un enregistrement comptable des différents soubresauts de marché. De façon parallèle, les règles de sortie des fonds pourraient être revues en fonction de leur nature afin, par exemple, que des fonds actions n’aient pas une liquidité quotidienne, allongeant ainsi l’horizon des gestionnaires et des détenteurs.
Limiter le court-termisme pourrait également passer par une publication de la valeur des fonds et de leur benchmarking à une fréquence moins élevée, afin de ne pas aggraver le mimétisme de leurs propres gestion.
En outre, afin d’encourager les investisseurs particuliers, par exemple, à acheter de tels fonds, il pourrait être envisagé une fiscalité attractive. Il est en effet plus judicieux d’accorder des taux d’imposition bas ou nuls, non à des enveloppes d e produits ou de fonds, tels que les P M en France, par exemple, mais à la détention directe ou indirecte des fonds qui auraient la particularité d’être de long terme. En effet, même au sein d’un P M , il est tout fait possible d’acheter et de vendre des fonds cotés quotidiennement et benchmarkés mensuellement. Détenus’au sein d’un P M ou non, ces fonds sont conduits rationnellement à adopter des horizons très courts et des comportements très mimétiques, sous peine d’être revendus par leurs détenteurs des lors qu’ils n’auraient pas profité d’une hausse, dont d’autres auraient bénéficié, fût-elle au sommet d’une bulle spéculative. Une fiscalité avantageuse réservée à des fonds de long terme pourrait donc être un outil puissant pour limiter le court-termisme inhérent aux marchés financiers.
Huitième proposition
Renforcer la supervision est une nécessité attestée par tous. Elle passe.par la supervision d’organismes jusqu’alors peu ou pas contrôlés, les hedgefinds et les véhicules de titrisation notamment. Ils se comportent, en effet, comme des banques, mais disposent d’un levier non réglementé et de risques non scrutés par des superviseurs. Il en va bien évidemment de même pour les banques d’investissement aux États-unis qui ont été pour la plupart aidées par la Fed, alors même qu’elles n’en dépendaient pas. Ajoutons qu’aux États-Unis encore, la supervision est très éclatée. &si, par exemple, les établissements ayant distribué les crédits subprime n’étaient-ils pas supervisés par la Fed.
En outre, il pourrait certainement être utile d’envisager une mise en commun ou a minima d’une coopération active des superviseurs des banques et des assurances. En effet, la circulation des risques de crédit, par exemple, par le biais du marché des CDS (credit default swaps), entre les assureurs et les banques est intense. Et Son a assisté de plus à une intégration des métiers et parfois des capitaux des uns chez des autres.
Par ailleurs, un superviseur unique, ou à tout le moins fédéral, aurait grand avantage à prendre forme dans la zone euro, voire dans l’Union européenne. Internationalement enfin, les organismes de supervision étant nationaux et les phénomènes de crise financière et de contagion étant mondiaux depuis la globalisation financière, une coordination internationale plus poussée des superviseurs est devenue nécessaire.
Plus généralement, les régulateurs doivent prêter une attention extrême aux capacités des acteurs économiques à augmenter déraisonnablement le levier d’endettement dans les phases euphoriques, parfois en contournant les réglementations ou en utilisant leurs insuffisances (distribution de crédit subprime aux États-Unis, titrisation permettant un fort effet de levier des banques malgré Bâle IL..).
Neuvième proposition
La titrisation et le marché des CDS ont fait couler beaucoup d’encre. Ils sont certes les éléments spécifiques et aggravants de la crise financière actuelle. Ils sont pourtant nécessaires, car ils permettent aux banques d’accorder davantage de crédits que s’ils n’existaient pas. Les banques ne seraient pas en mesure à elles seules de financer l’économie mondiale sur la base de leurs fonds propres. Il n’en reste pas moins qu’ils doivent être repensés pour être à la fois plus efficaces et plus « moraux ». Tout d’abord, les supports de la titrisation comme les CDS doivent être standardisés. Leur hétérogénéité actuelle a ajouté considérablement à la confusion des marchés et à leur manque de liquidités. Pour les CDS, il est indispensable, en outre, de les insérer dans des marchés organisés, avec tutelle de marché et chambre de compensation, afin de garantir la bonne fin des contrats, grâce aux appels de marge quotidiens et aux deposits, qui permettent quasiment de supprimer le risque de contrepartie.
Pour l a titrisation, il est nécessaire d’en atténuer l’aléa moral qui l’accompagne, puisqu’une banque qui titrise ses créances ne supporte plus le risque du crédit qu’elle a octroyé, ni l’obligation de « monitorer » l’emprunteur pendant la durée du crédit. Toutes choses qui pourtant définissent normalement le rôle des banques dans le processus du crédit, de la sélection dans l’octroi de crédit jusqu’à son remboursement. Pour entraver la possibilité des banques de ne pas s’intéresser au remboursement du crédit – donc de ne pas jouer leur rôle de banques -,comme cela a été montré jusqu’à l’absurde sur le marché des subprimes aux États-Unis, devrait être instaurée l’obligation des banques de conserver la responsabilité du risque sur environ 10 %, par exemple, des crédits titrisés, en indiquant précisément dans le prospectus le risque exact conservé par la banque et en imposant un reporting précis auprès des souscripteurs. Enfin, il n’est pas raisonnable d’avoir laissé des titrisations des créances bancaires se faire à travers des structures (conduits) portant des actifs souvent longs, avec un refinancement très court.
Ces conduits sont en quelque sorte des ersatz de banques non contrôlées, permettant de faco aux banques d’augmenter leur levier, sans le même contrôle réglementaire. Or, ces mêmes banques devaient donner des garanties de refinancement de leurs conduits, exerçable en cas de problème de liquidité, les contraignant alors à reprendre les risques précédemment titrisés. De plus, en l’occurrence, ta disparition du refinancement par le marché, à laquelle ont été confrontés les conduits, révèle une très forte incertitude quant à la qualité des créances ainsi titrisées.
Dixième proposition
Plus fondamentalement et plus en amont, la forte instabilité financière est souvent facilitée par des déséquilibres macroéconomiques et macro-financiers mondiaux. C’est certainement le cas de la crise financière actuelle, qui s’est déroulée dans un contexte de déficits courants américains très élevés. Ces déficits sont financés sans limites par des réserves officielles chinoises, elles-mêmes dues à des excédents courants imposants, et permis par une devise chinoise très longtemps sous-évaluée. D’où les réflexions actuelles sur un nouveau Bretton Woods, réglant de façon plus harmonieuse notamment les valeurs des monnaies entre elles. Il est malheureusement probable qu’une telle tentative n’aboutisse pas, tant les intérêts nationaux en cause peuvent ne pas s’accorder. Il n’est pourtant pas inutile de chercher les arrangements possibles, même temporaires, qui seraient éventuellement de façon plus coordonnée les modes de résolution de telles divergences d’intérêt.
Réduire l’instabilité financière n’est pas aisé, mais, comme nous l’avons vu, des pistes sérieuses et pragmatiques sont possibles. Les idées présentées ici ne sont certainement pas exhaustives. Mais il est nécessaire de les étudier et, le cas échéant, de les faire aboutir au plus vite. La stabilité financière est un bien collectif qui contribue à la croissance et au bien-être de chacun. La démonstration par l’absurde est en train d’en être donnée.
Rédaction achevée en janvier 2009.